Projection Le film se veut un jeu, une création et un art de montrer ou de dire. «Noir sur blanc» est un événement culturel et artistique qui, s?inscrivant dans un partenariat entre les deux associations culturelles Chrysalide (Alger) et Gertrude (Lyon), se tiendra, au mois de juin, à Sétif, où il est prévu des ateliers d?écriture et des rencontres-débats. Dans ce cadre L?Esquive, un long-métrage réalisé par Abdelatif Kechiche et récompensé quatre fois aux Césars 2005, a été projeté, jeudi, à la salle Ibn Zeydoun (Riadh-el-Feth). Le film raconte une histoire (d?amour) banale, et l?inscrit dans une cité HLM, en banlieue parisienne. Les personnages, de jeunes adolescents européens et maghrébins, partagent, dans un même espace, les mêmes attitudes langagières. C?est donc une histoire d?adolescents qui, s?exprimant dans un registre linguistique typique à un environnement social, jouent la pièce de Marivaux, Le Jeu de l?amour et du hasard, et qu?ils doivent interpréter pour la fête de fin d?année de leur collège. En fait, il n?y a pas d?histoire précise et déterminante ; tout le film est, d?un bout à l?autre, une projection d?adolescents qui parlent et qui n?arrêtent pas de parler, en échangeant, dans un langage à la fois ordinaire et complexe, souple et grossier, perceptible et incompréhensible, leurs sentiments, leur désir et leur préoccupation. Tous se mettent à parler (parfois dans une cohue de mots déroutante) avec leurs propres mots, et avec une énergie et une verdeur et un vocabulaire fort et imagé, ainsi qu?avec des jeux langagiers représentatifs qui leur sont propres. Le film, où tout est jeu, création et art de montrer ou de dire, se veut un travail sur le langage, celui qui définit les rapports des uns aux autres, et les met tantôt dans une situation conflictuelle, tantôt dans une relation d?échange et de partage. L?autre fait perceptible et récurrent, c?est le jeu des adolescents qui, ponctuel et juste, ressemble à celui des comédiens des planches ; il y a une réelle théâtralité dans le jeu de chacun, et dans laquelle est dite une histoire certes quelconque, mais à travers laquelle, et comme dans toutes les histoires humaines, se nouent et dénouent des relations, se dit un langage, s?accomplissent des faits. L?Esquive est plus qu?une fresque cinématographique, c?est aussi une pièce théâtrale qui se joue comme on joue Marivaux ou Molière, mais dans un tout autre genre artistique et registre linguistique et esthétique. Ainsi, L?Esquive raconte le nouveau langage, celui pratiqué dans les banlieues par des sujets qui, souvent, sont en marge de la société, parce qu?ils ont des comportements sociaux bien différents de ceux cultivés par les «bourges» (bourgeois) et des attitudes langagières sanctionnées par la grammaire. Il raconte une nouvelle manière de dire et de se comporter. L?Esquive est, par ailleurs, un long voyage dans un monde fait de mots et de locutions, de nouvelles attitudes ? et pratiques ? langagières. S??y pencher, c?est relever les caractéristiques d?une communauté qui veut s?affirmer à travers une identité à part entière.