Regard intérieur sur une expérience culturelle originale entre Alger, Lyon et Sétif et vision des échanges artistiques entre les deux pays. Depuis quand le programme Noir sur Blanc existe-t-il ? Après ce deuxième événement à l'amphithéâtre de l'Opéra de Lyon (voir compte-rendu dans notre précédente édition), nous allons attaquer la sixième année. C'est quand même un sacré parcours ! Nous l'avons entamé principalement avec l'association Chrysalide d'Alger. En 2003, pour l'Année de l'Algérie en France, je voulais faire quelque chose de nouveau et surtout à long terme. A ce moment, j'ai rencontré Djalila Kadi-Hanifi, présidente de Chrysalide. C'était à Toulon où elle était venue lire un texte. On est passées par toutes les difficultés imaginables pour démarrer. Pour Sétif, c'est parti du fait que la région Rhône-Alpes soutient des projets sur l'Est algérien. Chrysalide a alors proposé de retenir Sétif pour son potentiel culturel, mais aussi la forte concentration de Sétifiens à Lyon. On a commencé avec la troupe Les Compagnons de Nedjma, avec laquelle nous avons très bien travaillé. Mais, comme ils ne sont que dans le théâtre et qu'ils avaient d'autres projets en vue, nous avons cherché une équipe pluridisciplinaire. Et, il y a deux ans, nous avons rencontré l'association Arts et Culture de Sétif qui a tout de suite été intéressée par le projet. Comment définir Noir sur Blanc ? C'est un programme, une alliance d'associations ? Tout cela à la fois, mais disons plutôt qu'il s'agit d'un processus de recherche et de formation en vue de la création artistique. Dans vos documents, l'expression de « co-développement culturel » revient souvent... J'y tiens infiniment. Ce n'est pas de l'aide unilatérale, mais cela veut dire que l'on travaille ensemble en se développant chacun. Il s'agit de mettre en place des processus de développement, en France et en Algérie, pour que les associations partenaires puissent avancer et travailler à égalité d'organisation pour définir les programmes, monter des formations, chercher des financements, etc. La réalité est bien sûr plus complexe. Car, en France, par rapport à l'étranger, l'habitude des mécènes institutionnels est de faire de la diffusion. On prend un spectacle, on le montre une fois ou deux et on rentre chez soi. Cela ne m'intéresse absolument pas. J'habite en France et, pour les siècles à venir, avec des millions d'hommes et de femmes qui sont originaires du peuple algérien, et dans ma démarche culturelle, j'ai besoin d'aller à la source. L'émigration principale française est algérienne et on voit bien qu'en dehors des aspects économiques, cela n'intéresse pas trop. La politique culturelle de la France n'a pas vraiment encore pris en charge cet aspect. Quand on parle de co-developpement culturel, cela veut dire à mon sens que les financements devraient servir les artistes d'Algérie pour créer des pôles-ressources et que l'argent disponible serve au développement culturel. Pour que les allers-retours se fassent de la manière la plus dynamique possible et qu'on dépasse les assistanats, les partenariats primaires et surtout qu'on s'inscrive dans la durée. Quand il n'y pas de formation, c'est de l'argent perdu. Parfois, on ramène des spectacles, mais ils créent des appels d'air inassouvis et donc plus de tristesse et sans communication véritable entre les acteurs culturels de part et d'autre. Mais quels sont les résultats tangibles de cette démarche ? Ce que nous faisons, chaque année en montrant nos créations, c'est le côté apparent et lumineux de notre travail. Mais l'essentiel se fait tout au long de l'année et en coulisses. Soutenir les auteurs et pas une seule fois, en découvrir de nouveaux, comme Randa El Kolli qui, depuis 5 ans, a acquis les bases de l'écriture dramatique et dont la première œuvre a fait l'objet d'un stage avec Monique Hervouët, metteur en scène confirmé. Quant à Hajar Bali, qui pratique l'écriture théâtrale depuis plus longtemps, on est sur un parcours affirmé. Là dessus, il y a les arts plastiques avec Nada Boubekri, par exemple, le cinéma l'an dernier avec de jeunes réalisateurs de Chrysalide. Il y a aussi le slam, un gros succès à Sétif, avec des salles toujours archicombles. On a organisé sur place des stages et des sessions de slam avec Lee Harvey Asphalte et maintenant Sétif est sans doute la première ville d'Algérie à avoir un groupe mixte, qui s'appelle Rimes Urbaines. Donc, la difficulté en Algérie n'est ni dans les talents ni dans les compétences, mais surtout dans l'organisation de l'action culturelle. Je ne veux donner de leçons à personne, car dans notre propre association, Gertrude II, on s'efforce aussi de nous renforcer dans la méthodologie de projet. La création a besoin de l'organisation et de méthodes de travail avec un chef de mission qui gère un projet, etc. Mais les contextes sont différents, de même que la disponibilité de moyens et d'espaces... Je suis d'accord. Je connais assez bien maintenant le contexte algérien. Mais, en tenant compte de tout cela, maintenant il faut prendre le train. C'est un vrai chantier. On va essayer de nous renforcer, ici et en Algérie, dans la capacité de gestion de projets culturels. Pour 2009, on va peut-être ajouter aux résidences de création une formation à l'ingénierie de projets culturels. En 2007, le programme était plus florissant, plus divers et plus volumineux que cette année... Est-ce un choix ou une contrainte ? La donne financière a joué. On a moins d'argent et, de plus, nous avons placé l'essentiel dans les formations. Il y en a eu plusieurs cette année, en slam, arts plastiques, théâtre. Tous ces voyages et séjours coûtent vite. Et puis, nous avions moins de nouvelles créations à proposer. Tewfik Mezaâche, par exemple, ne voulait pas revenir avec un ancien spectacle. On a décidé de ne pas faire semblant et de montrer ce qu'il y avait de nouveau. J'ai moi-même créé un spectacle car, depuis des années, je me suis entièrement mobilisée dans l'organisation. J'ai donc conçu Ciel si ciel. J'ai toujours adoré Beggar Hadda et j'ai rencontré plusieurs chanteuses de ce genre en Algérie, mais c'est Fatma Hechaïchi qui m'a fait craquer par son talent, sa simplicité et sa profondeur. On a fait un essai au théâtre de Sétif. C'était court, mais avec un succès incroyable ! Je suis partie de là pour monter mon spectacle entre sraoui, slam et hip-hop. Donc, une création franco-algérienne, car, jusque-là, on a donné la priorité aux créations algériennes. On est bien dans le « co », donc ! Et pour l'année prochaine ? On a beaucoup discuté à la fin de cet événement. On va s'orienter vers de nouvelles résidences de création. On va essayer d'en faire dans le maximum de disciplines. Des sessions de trois semaines, isolés du monde, puisque nous avons un sponsor à Jijel qui nous ouvre son lieu. Après, on présentera ces créations en Algérie et en France, peut-être dans des allers-retours, pas forcément dans de grosses institutions comme l'Opéra de Lyon, qui nous a accueilli deux fois, mais éventuellement dans de plus petites institutions. On ne sait pas encore. Mais puisqu'on parle de l'Opéra de Lyon, j'aimerai dire qu'il y a plus de deux ans, quand je m'y suis présentée, je n'y croyais pas beaucoup. Mais François Poster, qui dirige l'amphithéâtre, a tout de suite compris l'intérêt du projet. Aujourd'hui, l'Opéra est incité à s'ouvrir à tous les publics et à faire un travail durable avec les jeunes de quartiers. Il a donc trouvé aussi son intérêt et c'est tant mieux. Et comme ça s'est bien passé en 2007, on nous a demandé de revenir. Quelle aide recevez-vous par ailleurs ? Gertrude II tient le coup, car nous avons d'autres actions dans les quartiers de Lyon. Mais le programme Noir sur Blanc n'est pas entièrement compris. La ville de Lyon nous aide, la région aussi, l'ambassade de France, mais par rapport à l'ambition du projet et son ampleur, c'est en dessous de ce qu'il faudrait. En Algérie, il y a eu aussi des aides. L'Agence algérienne de rayonnement culturel a financé le transport des partenaires algériens l'an dernier. A Sétif, grâce à Arts et Culture, nous avons travaillé avec le théâtre municipal de la ville, avec l'ODEJ et les cités universitaires, Il y a eu aussi la mairie de Sétif, par son Comité des fêtes, qui nous a aidés pour monter les formations et c'était magnifique pour nous. Nous avons logé chez un habitant avec la meilleure hospitalité qui soit. Ici aussi, cette année, nous avons logé nos partenaires algériens chez l'habitant. C'est la cohabitation pour le codéveloppement, les colocs quoi ! (Rires). Quelles orientations donc pour demain ? Réussir le partenariat avec le privé en le mixant au partenariat public pour obtenir un meilleur soutien des projets. Approfondir notre lien créatif avec des résidences croisées en Algérie et en France. Monter de nouvelles créations. Maintenant, après 5 ans en commun, nous avons aussi besoin de bien poser à plat notre expérience, quitte à inventer de nouveaux processus. Mais, bien sûr, on attaque tout de suite la sixième année de Noir sur Blanc. Pas question de lâcher, au contraire. Repères Née en 1950 à Lyon, Guillemette Grobon, tout de suite obtenu son baccalauréat, s'est consacrée à sa passion pour l'art. Elle devient animatrice culturelle de quartier, tout en entamant une carrière de comédienne. Elle est aussi danseuse contemporaine au sein de plusieurs compagnies de danse. Elle milite activement dans le mouvement des femmes. En 1994, le 8 mars, elle vient pour la première fois en Algérie dans une délégation de femmes françaises venues exprimer leur solidarité aux Algériennes. Elle découvre un champ historique et culturel qui lui permet de mieux comprendre sa propre société. Elle arrête alors de jouer pour s'adonner à la création. En 2003, elle écrit Mourad le Désiré, qui sera mis en scène puis La Cuisine de Hidjdad. Elle est membre fondatrice et directrice artistique de l'association Gertrude II, créée en 2004, après avoir existé 2 ans en tant que Gertrude Production. Ce prénom est tiré d'une gravure étrange du XIIIe siècle représentant, croit-on, les premières féministes d'Europe.