Maurice M., patron d'un bar, est un véritable homme d'action. Il n'hésite pas à s'offrir ce qui lui plaît, même quand il faut y mettre le prix, surtout quand il peut, en même temps, réaliser une belle affaire. Maurice a une passion pour les belles Allemandes. Les automobiles. Aussi, ses rêves nocturnes sont-ils entrecoupés de visions vrombissantes et de symphonies pour turbo, avec leitmotiv de pneumatiques crissant dans les virages. Maurice se réveille parfois dans un état proche de la béatitude. Ses mains se crispent encore sur son oreiller parce qu'il rêvait, se voyant au volant de la Porsche 965 Turbo II, un monstre de toute beauté, qui peut grimper à des vitesses formellement interdites partout en France, sauf sur le circuit du Mans. Une relation lui signale, un jour, que la belle Allemande de ses rêves est à vendre pour une bouchée de pain. En tout cas, c'est ce qu'on pense chez les connaisseurs : 759 000 francs. Evidemment, à ce prix, il ne s'agit pas d'un véhicule neuf, mais la superbe Porsche n'a que huit mille kilomètres au compteur et Maurice conclut rapidement l'affaire en passant par une société de crédit. Dans ce genre de commerce, des remboursements un peu corsés ne font pas peur. 9 000 francs mensuels pour la première année, 18 000 pour les mois suivants, ça ne devrait pas poser de problème. Hélas ! Les choses de la vie n'arrivent pas toujours exactement comme on le prévoit, et Maurice réalise bientôt que son plan de financement sera sans doute un peu difficile à mener à bien. Il faut trouver une solution. Vendre le véhicule paraîtrait la solution la plus logique. Vous connaissez beaucoup de personnes qui soient prêtes à acheter une Porsche 965 Turbo II de deuxième main ? Même un excellent vendeur aurait du mal à faire rentrer les 759 000 francs qui sont en jeu. Alors, Maurice réfléchit. Qui a assez d'argent pour débourser une somme pareille ? A qui pourrait-il en réclamer légitimement ? Aux assurances ! Car on ne fait pas ce genre d'achat luxueux sans souscrire une assurance. Mais pour que les assurances payent quelque chose, il faut qu'il y ait sinistre... Prétendre qu'on lui a incendié sa voiture. Il faudrait produire l'épave carbonisée. Quel crève-c?ur, quel gâchis ! La déclaration de vol semble la plus plausible. Dieu sait si on en vole, de belles voitures de ce genre. Tout le monde sait qu'il y a des gangs spécialisés qui les dérobent, maquillent, changent plaques et cartes grises, et les exportent ensuite vers des pays inaccessibles. La déclaration de vol semble donc la solution la plus logique. Petit problème : si on vole une telle voiture, elle disparaît, et si elle disparaît, il ne faut plus qu'on la voie. Et si on ne la voit plus, c'est qu'elle est cachée. Cachée où ? Sous des bottes de paille. Juste assez longtemps pour que l'assurance paye. Sitôt dit, sitôt fait. Maurice s'est déplacé presque à pied pour faire ses déclarations de vol, et agite gentiment son trousseau de clés de contact pour prouver sa bonne foi. Les deux jeux : n'est-ce pas la preuve qu'aucun complice ne se promène au loin avec la chère Porsche ? L'assureur, lui, ne se montre pas très sympathique. Au lieu de faire immédiatement un chèque, il informe sa direction générale. Pas non plus de bonne réaction à ce niveau. Le paiement se fait attendre. Les jours passent. C'est fou ce que vingt-quatre heures peuvent sembler longues quand on attend un chèque et ces mêmes vingt-quatre heures semblent très courtes quand on est assureur et qu'on ne veut pas le faire, ce chèque. Vingt-quatre heures après vingt-quatre heures, il y aura bientôt plus d'heures alignées les unes derrière les autres qu'il n'y avait de kilomètres au compteur de la belle Allemande. Alors, Maurice prend peur. Et si les gendarmes allaient venir faire une enquête, s'ils allaient remuer tous les tas de foin et de paille du canton ? Il faut faire disparaître la belle Allemande d'une manière plus efficace... (à suivre...)