Désillusion Ses rêves ont été brisés tout comme sa jeunesse. À 40 ans, c?est un voleur professionnel, célibataire et qui rêve de fonder, un jour, un foyer. Il se confie librement. Son travail : voler au port et vendre sa marchandise dans les marchés informels. «Tout est bon à voler. Chewing-gums, casquettes, pulls? Tout ce qui tombe sous sa main au port. J?ai même ma tenue de travail. Regardez ! Mes vêtements sont un peu sales et c?est justement pour ne pas attirer les soupçons. J?ai l?air d?être un gars gentil !», confie-t-il le sourire aux lèvres. Ses yeux clairs brillent. Karim ne consomme ni drogue, ni alcool, ni diluant. «Ce n?est pas mon truc. Pas du tout. Je crois que les gens de mon âge n?ont pas la même carapace que ces jeunes. Et puis, ce n?est plus la même génération. Ceux-là naissent avec un joint dans la bouche contrairement aux gens de mon époque. Nous ne connaissions ni drogue ni cachets.» Le quadragénaire a son propre appartement à Alger, un véhicule et même un chauffeur qui travaille à son compte. «Je ne manque de rien, vous savez», murmure-t-il. Dès que minuit sonne, son sachet à la main, Karim prend la direction du port. Il saute les barrières, s?introduit au port, vole, dans quelques conteneurs, ce qu?il trouve puis attend jusqu?à 4 ou 5 heures pour sortir, «lorsque les gardiens dorment», marmonne-t-il. Karim revend sa marchandise dans les marchés informels de la capitale. «Je travaille seul, sans intermédiaire, ainsi j?assure plus de rentabilité. J?arrive à amasser jusqu?à 40 000 DA/ mois. J?ai même un compte bancaire en devises, j?ai 1 200 euros. Je suis prévoyant». L?orateur se tait un moment, son visage ridé n?affiche plus cette fierté profonde de conter ses exploits. Sa frimousse s?assombrit. «Pourtant je suis triste et je vis mal. Je ne suis pas heureux ! Ce n?est pas une vie ! Et puis je vole mon pays, je n?ai jamais voulu cela ! Mes parents, qui vivent à l?intérieur du pays, croient que je suis un porteur au port, ils ne savent pas que je suis un grand voleur.» Le même mutisme. Le regard qui s?attarde dans le noir. Puis il enchaîne : «Vous savez, assurer son avenir dans notre pays n?est pas chose facile. J?ai demandé trois filles en mariage et puis j?ai annulé. Je suis un voleur, je n?ai pas de travail stable et je n?ai pas envie de faire vivre mes enfants avec le vol, ce n?est pas bien. Je veux que mes enfants aient une vie meilleure.» Karim a un diplôme de décorateur, il a exercé quelque temps dans différentes entreprises puis a mis fin à sa carrière. «J?ai décoré la maison d?un pilote, il m?a arnaqué, il a refusé de me payer, il n?a pas été honnête avec moi. Les entreprises privées ont exploité mes compétences sans pour autant me payer correctement.» Privations Les délinquants sont affamés. Dès que l?on descend à la place des Martyrs, certains nous réclament de la nourriture. N?ayant pas le choix, un gendarme nous demande s?il pouvait leur offrir les sandwichs qui nous étaient destinés. Une action qui consolide la solidarité algérienne sans faille.