Phobie Que dire ou penser d?une communauté qui a une peur viscérale des coupeurs de tête ? Rien si on ne sait pas ce que leurs ancêtres ont enduré? Il y a trente-quatre ans, en février 1969, des ouvriers, qui creusaient les fondations d?un immeuble dans la petite bourgade de Bordj Boularès, dans la commune de Aïn El-Karma (wilaya d?El-Tarf), mettait, accidentellement, au jour des squelettes humains sans crâne. Des fouilles plus poussées, entreprises sur ordre des autorités locales, qui pensaient à la découverte d?un charnier datant de la guerre coloniale, permirent de trouver plus d?une centaine de squelettes d?hommes adultes qui avaient tous la particularité d?être privés de tête. Au terme d?un examen approfondi de ces ossements par des spécialistes, on constata que l?on avait découvert non pas un charnier creusé à la hâte par la soldatesque française, mais un immense cimetière dont l?existence remonte à l?époque de la domination turque. Aidés en cela par les plus anciens habitants de la localité de Bordj Boularès, les enquêteurs venus d?Alger firent le lien entre l?appellation du lieu-dit et l?implantation de l?intrigante nécropole. Le nommé Boularès, dont on ne sait pas grand-chose, outre le fait qu?il exerçait les fonctions d?administrateur de la région sous les ordres du dey de Constantine, avait une résidence secondaire non loin de Aïn El-Karma. La transmission orale ancrée dans le pays profond apprend aux investigateurs que Boularès était aussi cruel qu?il n?était dévoué à son maître ottoman. Ce dernier attendait de Boularès qu?il asservisse les populations de cette partie nord-ouest du Constantinois, qui lui étaient particulièrement hostiles. L?administrateur se chargeait donc de collecter les impôts, mais aussi de pacifier à sa manière. Zélé à l?extrême, il transportait dans ses bagages, à chacune de ses visites dans la capitale de l?Est algérien, le maximum de preuves de son loyal engagement envers le dey. Comme on le sait maintenant, les têtes des plus farouches résistants étaient ces fameuses preuves du travail bien fait (!). Les corps étaient enterrés sur place. De cette sanglante et horrible époque, il ne subsiste que le souvenir de ces centaines, voire de ces milliers de personnes auxquelles Boularès avait tranché la tête. Les habitants de la bourgade ont donc pour habitude de ne pas manger tout aliment présenté avec une tête. Ainsi, au marché, on ne vous présentera jamais un légume avec un bulbe et vous ne verrez dans aucune boucherie une tête de poulet, d?agneau ou de b?uf. Le bourreau a fait son ?uvre.