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Il était une fois la révolution
Publié dans L'Expression le 05 - 11 - 2005

Si le premier novembre continue à mobiliser «ceux qui y trouvent leur compte», force est de constater que son galvaudage le démonétise auprès des 75% de la population que constitue la jeunesse.
On peut la définir simplement en empruntant la définition du dictionnaire: «C'est le changement brusque et violent dans la structure politique et sociale d'un Etat, qui se produit quand «le peuple» se révolte contre les autorités en place et prend le pouvoir». La révolution du 1er Novembre 1954 : une date symbolique pour toute l'Algérie. Une date qui est censée être le début d'une nouvelle ère. La continuité d'un combat pour certains. Le has been pour d'autres ... Au moment où de par le monde de grandes interrogations perturbent les consciences, dans le pays on convoque rituellement «la même» comme un sacrifice dont on a perdu le mode d'emploi, mais que l'on perpétue d'une façon magique.
Sait-on par exemple, que c'est sur la machine à imprimer (ronéo) de Ali Zamoum que l'impression du premier tract de la révolution quelques jours avant le déclenchement de la révolution a été permise. S'il y a bien un trophée qui doit figurer dans les musées du Moudjahid, c'est bien cette imprimerie, qui, véritablement, a diffusé le texte du «big bang» - grande explosion pour tenter une similitude avec la création de l'univers d'après les physiciens il y a de cela 15 milliards d'années - annonciateur à la face du monde qu'un peuple asservi avait décidé de prendre son destin en main en donnant au pouvoir colonial une leçon à la mesure de la misère matérielle et morale qu'il a endurée pendant 125 années.
Si le premier novembre continue à mobiliser «ceux qui y trouvent leur compte», force est de constater que son galvaudage le démonétise auprès des 75% de la population que constitue la jeunesse. Pourtant, cette symbolique du 1er- Novembre appartient à tous les citoyens sans exclusive, et pas seulement à une «hypothétique famille révolutionnaire» ! S'agissant de l'acte fondateur de la nation algérienne des temps modernes, il faut bien avoir à l'esprit que plus de 75% de la population est née après le 1er Novembre et n'a pas été exposée à la condition infra humaine de l'Algérien durant la colonisation. Ce n'est sûrement pas les discours lénifiants, soporifiques et sans imagination qui feront aimer et comprendre en intériorisant la souffrance du peuple algérien durant les cent trente-deux années passées dans l'enfer colonial. Les jeunes Algériens ont besoin de connaître le 1er-Novembre et ses valeurs indexées sur le XXIe siècle. Au moment où les peuples partent à la conquête du monde, l'amnésie collective est rituellement secouée à cette occasion. Le citoyen est alors convoqué à ingurgiter une histoire monolithique superficielle qui se complait dans la perpétuation de slogans qui ont, de loin, minimisé le message transcendant de la glorieuse Révolution de Novembre.
L'Algérie en 2005
Comment se présente l'Algérie de 2005, un demi-siècle après ce jaillissement fulgurant qui a remué la planète entière? Nous avons régressé dans plusieurs domaines et ce ne sont pas les chiffres qualitatifs invérifiables sur la richesse, le taux de scolarisation, le nombre de portables et que sais-je encore qui font et feront que nous sommes sur la voie de la rédemption.
Que nous rapportera notre acceptation sans condition d'être « formatés » dans les moules de l'Union européenne, de l'OMC et de l'Otan. Il faut être naïf pour croire que ceux d'en face nous veulent du bien et des formules à l'emporte-pièce que nous avons importées pour faire bien telles que winn-winn (gagnant-gagnant) comme partenariat sont des vues de l'esprit. C'est dans tous les cas gagnant-perdant.
Que reste-t-il de la symbolique du 1er-Novembre? L'Algérie de 2005, contrairement à celle des leaders de 1954, n'a pas de projet de société, n'a pas de stratégie pour le futur. Notre sous-sol est hypothéqué, notre éducation déjà moribonde sera à coup sûr laminée par «l'aide extérieure». Il faut être naïf pour croire que les pays qui «nous aident» le font par philanthropie.
Le premier novembre de cette année est plus sinistre que les précédents. Nous apprenons tous les jours que des «Algériens de coeur» se font humilier et pour certains massacrer tous les jours dans des banlieues dites sensibles, sous prétexte qu'il faut éradiquer le terrorisme, neutraliser la racaille, réduire les voyous au «Karcher». Il est à se demander si ce langage qui n'est pas innocent n'est prononcé que pour faire mal et créer la discorde entre les Français de souche, les Français «d'adoption» - au risque d'être politiquement incorrect- d'essence chrétienne et les Français du second collège qui ont le malheur de vouloir rester musulmans et qui continuent à subir les affres du racisme de l'antisémitisme arabe comme l'ont subi leurs grands-parents sous l'aile protectrice et nous dit-on bienveillante de la République.
Pour des motifs bassement électoralistes, le titulaire de la place Beauveau veut ratisser large, nul doute que le vote du Front national lui est acquis. A voir ces images de la douloureuse détresse des parents des jeunes on croit revivre «la belle époque de la colonisation en Algérie» pour les CRS de la guerre où certains faisaient du zèle. Car comment comprendre en effet que le président et le Premier ministre laissent celui de l'Intérieur faire le «sale boulot», quelquefois il faut le reconnaître avec zèle et jubilation, en clair «s'enfoncer», pour des motifs bassement électoralistes.
Souvenons-nous à titre d'exemple, de la force de la communauté juive quand une synagogue a vu ses vitres brisées, le gouvernement au complet comme un seul homme a condamné cet acte «antisémite» et maghrébin. Le Premier ministre suivi d'une cohorte de ministres a fait le déplacement pour faire allégeance à la communauté en mobilisant tous les médias acquis à leur cause. Il en fut de même de l'agression imaginaire contre le rabbin Farhi, et surtout l'attentat du RER attribué à tort à des beurs : une heure après l'attentat, l'Elysée avec la plus grande fermeté condamne cet attentat suivi de tout un scénario où on a vu la ministre de la Condition aller voir l'agressé pour s'apercevoir ensuite que cette «affaire» était une manipulation !! On l'aura compris, aucun officiel ni média n'ont pensé à s'excuser pour cette accusation auprès de cette communauté jetée régulièrement aux chiens.
Quand la Mosquée de Clichy-Sous-Bois «reçut» le dimanche soir des grenades lacrymogènes, pas la plus petite protestation des officiels, le président en tête. Pas le plus petit déplacement ou reconnaissance du ministre dont les troupes ont fait du zèle. Nous n'avons même pas vu le ministre alibi Aziz Begag protester, son intervention le lundi soir à l'émission de Yves Calvi sur la 2 était pitoyable. J'ai eu honte pour lui et surtout pour toute la communauté qu'il représente. Tout en répétant qu'il n'avait pas l'intention de démissionner comme le lui suggérait fortement le présentateur; il s'est lancé dans une démonstration absconse, pour nous informer au passage que la République est «intégratrice», qu'il est chercheur au Cnrs, et qu'il est ministre contrairement à Tokia Safi qui n'était que secrétaire d'Etat et qu'enfin si nous en sommes là c'est à cause de la gauche qui n'a rien fait depuis 25 ans. Alors qu'elle n'a régné que quinze ans... Mon Dieu comme il était pitoyable. Pour des événements beaucoup moins graves, Ariel Sharon a proposé aux Juifs de France - pour la plupart qui ne connaissent pas Israël- de faire leur «Alya» en les rapatriant en Israël où ils seraient en sécurité. Les protestations officielles furent molles. Que veut dire dans ces conditions un traité, après l'humiliation de la loi du 23 février votée unanimement par la droite et la gauche, après ce qui arrive à cette communauté de la douleur à qui on n'offre que nos plages le temps de l'été, où des places dans les cimetières, et que l'on ne soutient pas dans ces moments difficiles en pesant intelligemment sur nos relations avec l'ancienne puissance coloniale.
Il est à se demander si la politique coercitive actuelle contre les banlieues, où on n'a toujours pas essayé de comprendre la raison de la malvie, ne fait pas partie de la stratégie du ministre de l'Intérieur pour arriver coûte que coûte à la plus haute magistrature sur le dos d'une communauté - scorie de l'histoire- dont personne n'en veut. Nous l'avons vu il y a quinze jours avec la stratégie de la peur concernant le terrorisme. «Habiles manipulateurs des médias, le ministre français de l'Intérieur Nicolas Sarkozy, le député Pierre Lellouche et le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière ont introduit «la guerre au terrorisme» au coeur de la précampagne présidentielle française. La troisième chaîne de la télévision d'Etat et le groupe de presse de l'avionneur Dassault se sont prêtés à leurs mises en scènes. Cédric Housez: Stratégie de la peur en France: La «guerre au terrorisme» entre en campagne Reseauvoltairenet.org 7 octobre 2005.
Le droit au bonheur
À bien des égards, la perte de l'aura de la révolution est arrivée parce que nous n'avons jamais placé l'intérêt supérieur du pays au-dessus des intérêts personnels. Ce n'est, certainement pas, utopique que militer pour une vision apaisée de l'Algérie. A l'instar des Américains, le jour où nous verrons le drapeau national aux fenêtres des habitations des citoyens, à l'occasion de fêtes ou non, un pas sera alors franchi dans la direction de l'épanouissement de ce pays qui a droit au bonheur après tant de malheurs, d'incertitudes et d'errance.
Dans l'Algérie de 2005 l'idéologie a de moins en moins de prise sur les évènements planétaires. Les jeunes l'ont bien compris et il est illusoire de croire que des «leçons de morale à l'ancienne» peuvent emporter l'adhésion de la jeunesse. Elle a besoin pour être convaincue «d'une vision globale de société» qui puisse réétalonner les valeurs non en plus d'un compte en banque acquis d'une façon suspecte, non pas en fonction du paraître mais de la valeur intrinsèque de l'individu. Celle atteinte après un long parcours initiatique fait de sueur et de privations. Cette vision de société ne doit en rien abdiquer les composantes de la personnalité notamment les repères identitaires et cultuels, sans en faire naturellement un fonds de commerce à des fins partisanes.
Les jeunes sont allergiques à la langue de bois. Ce serait une erreur de croire que les «endormir» par des émissions soporifiques telles que le sport, les émissions de variétés, nationales ou importées, généralement débilisantes en y ajoutant le pouvoir dévastateur des chaînes occidentales qui déifient la civilisation du plaisir à son extrême, pourrait être la solution. On pense, à tort qu'en faisant de la sorte, et à défaut de régler les problèmes réels de ce pays, on pourrait assurer la paix sociale.
Rien ne peut remplacer un effort national pour un nouveau projet de société rassembleur non pas par exclusion des autres mais qui fédère réellement et sans arrière- pensée tous les enfants de ce pays. Le dernier espoir dans ce pays réside dans la formation des hommes et la recherche. Force est de constater que nous n'en prenons pas le chemin quand on voit comment l'emprise américaine commence à se faire sentir dans le segment le plus vulnérable de l'éducation, on n'hypothèque pas l'avenir pour quelques dollars qui, naturellement, permettront de formater le futur algérien dans son rôle de futur esclave d'une «macdonalisation» rampante qui doit, on l'aura compris, maîtriser l'anglais pour comprendre les ordres et les exécuter pour les futurs seigneurs du monde.
L'Algérie n'a jamais eu l'aisance financière actuelle due à une manne céleste qui n'est pas celle de notre génie, elle dispose d'un immense pays, d'une pluviosité clémente et pourtant nous sommes en panne d'espérance. Rien de vraiment sérieux et pérenne ne se construit, nous sommes des victimes consentantes «de la civilisation de l'éphémère».
Les Algériens ont perdu le gôut de l'effort et du sacrifice. Ils ne savent plus dire non aux injonctions extérieures car ils sont désunis. Le mérite du père de la Nation est d'aller vers l'Algérie profonde qui se construit à l'école et à l'université. Alors de nouveaux premiers novembre nous attendent tant il est vrai que nous avons besoin d'un Mahdi pour donner une réelle dignité à ces Algériens lassés de trop de promesses non tenues.


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