Chaque pays a sa référence historique. Celle des Etats-Unis est désormais le 11 septembre 2001. Les petites secondes de l'apocalypse, vécues par toute la planète en mondovision et qui ont changé, depuis, la face du monde, sont restées indélébiles et éternelles. Pour une histoire à réécrire en continu. Dorénavant, on parle des Twin Towers comme on parle des deux Grandes Guerres, de Jules César, des mythologies, de l?holocauste ou même de la Chine des Ming. On en fera un sujet d'histoire dans les manuels scolaires. Et les millions d'enfants américains assimileront que leur Amérique natale n'avait pas l'image hideuse que les autres ont toujours dépeinte de l'extérieur : une Amérique arrogante, superficielle, mercantile et infâme de gendarme du monde. Ils apprendront sur les bancs de l?école qu'il y a toujours une «vertu» à entretenir dans cette grisaille de bêtises à répétition et qu'enfin, le génocide des Peaux-rouges, la guerre de Sécession, les «wanted» en série dans le Far-West, la grande dépression, la prohibition des années 1930 et le «syndrome» vietnamien ne doivent pas encombrer éternellement les esprits. La puissance préfabriquée en trois siècles sur les décombres d'une vieille Europe meurtrie par la guerre a fait des Etats-Unis un pays qui inspire, outre la peur, la haine. Dans chaque foyer de tension à travers le monde, on accuse la CIA et le Pentagone. A chaque scandale, on accuse les firmes de Seattle, de Détroit et du Texas. Et les belles facettes hollywoodiennes ont rarement fardé cette réalité. «L'Amérique est en guerre contre le terrorisme», a martelé George W. Bush quelques minutes seulement après le désastre qui a secoué New York et Washington, les deux symboles de l'american way of life. Cette phrase à forte charge émotionnelle, drapée de nationalisme, est entrée, elle aussi, dans l'histoire pour côtoyer pour la postérité le «J'accuse» de Zola ou l?«Eurêka» d'Archimède. Revêtir l?habit de victime après avoir été longuement taxé de bourreau et s'accorder l'estime des ennemis d'hier pour devenir un allié respecté ne peuvent se réaliser en peu de temps. Mais l'Amérique est le pays des exploits les plus insensés : tout a changé en quelques secondes, un certain 11 septembre.