La petite Meriem est toute fringante avec ses vêtements neufs et son cartable aux couleurs vives. Elle s?en va sur le chemin de l?école pour sa deuxième rentrée. Elle passe en 2eAF dans une école dite privée située dans la banlieue ouest de la capitale. Papa et maman l?accompagnent, fiers de leur fillette et surtout contents du choix porté sur ce type de scolarisation. Arrivés à l?intérieur de la bâtisse ? une villa de trois étages sans espace vert ni terrain annexe ? le père se présente au bureau des inscriptions, mitoyen de celui de la directrice. La patronne de l?école accourt à sa rencontre. M. L. Mohamed a déjà préparé une liasse de billets de banque de la même épaisseur que celle de l?année écoulée. Surprise ! la patronne-directrice lui annonce un changement des tarifs. A la hausse, bien entendu. Les prix ont flambé. On dirait un souk de fruits et légumes un premier jour de ramadan. Pour les seuls frais d?inscription et l?assurance, les parents ont eu à supporter près de 50% de hausse. L?année dernière, c?était 5 000 DA contre 7 000 DA aujourd?hui. Quant à la mensualité, elle a vu sa cote augmenter de 20%, passant de 4 500 à 5 400 DA. La mine renfrognée, M. L. s?exécute. La parole est celle d?une personne révoltée : «C?est une pratique indigne d?une structure éducative.» A l?évidence rien ne justifie cette flambée. Les locaux n?ont pas connu de réaménagement, la peinture est la même. La maman de Meriem tente de calmer son mari : «Les enseignants ont dû se plaindre et la directrice les a augmentés.» A un vieux monsieur qui déambulait dans les couloirs, elle «hasarde» une question. C?est un enseignant, retraité de l?éducation nationale. Il refuse de répondre : «Votre question est indiscrète, madame.» Renseignements pris, il partage le même statut avec quatre collègues ? retraités eux aussi ? et six jeunes universitaires. Ils sont employés clandestins. Ni assurance sociale ni allocations familiales et encore moins la cotisation pour la retraite : seul le pactole engrangé en fin de mois les satisfait. La rémunération est de loin supérieure à celle octroyée aux enseignants de la Fonction publique. C?est là la raison pour laquelle ils n?osent pas protester contre la précarité de leur statut. Les avantages sont évidents. Aux retraités, ce poste procure une double satisfaction : arrondir le montant de leur retraite et garder le contact avec la vie active. Il faut dire que les cheveux blancs de l?expérience n?émoussent nullement l?enthousiasme. Sur ce plan, les parents d?élèves de cette école privée ne tarissent pas d?éloges. M. L. reconnaît la supériorité des écoles dites «privées» en matière de performances scolaires. La métamorphose de son fils aîné, passé de l?école publique à celle «privée» atteste de la qualité de l?enseignement dispensé par cette dernière. Abordées à la sortie de l?école, les jeunes enseignantes confirment la liberté de man?uvre que leur accorde la directrice : travail en groupes, coordination permanente, soutien mutuel sont les ingrédients de cette bonne humeur que l?on constate chez elles. Côté discipline et assiduité des élèves, il n?y a pas à se plaindre. Les effectifs par classe (32 élèves), leur origine socioculturelle (tous enfants de cadres supérieurs, voire industriels, médecins...), ainsi que les programmes puisés de ceux appliqués en France sont autant d?atouts qui attirent les parents et motivent les pédagogues de l?école. A la clé, des résultats plus que satisfaisants. Si nos élégantes enseignantes sont encouragées, professionnellement, par leur contact permanent avec des collègues chevronnés, il n?en demeure pas moins qu?elles dénoncent ? à voix basse ? la précarité de leur situation. Elles n?osent pas défier leur patronne par précaution. L?épée de Damoclès du chômage est suspendue au-dessus de leur tête. Certaines ont connu les courtes vacations mal payées éloignées de leur domicile. Elles aimeraient bien continuer à travailler ici, mais à condition de régulariser leur statut. Elles espèrent qu?un jour l?Etat algérien se penchera sérieusement sur le dossier de l?école privée. Pour Salima, institutrice, titulaire d?une licence d?interprétariat, la réforme de l?école algérienne «est pour nous une bouée de sauvetage puisqu?on parle d?officialiser l?école privée». Le mot est lâché : faire sortir à la lumière du jour et de la légalité, des pratiques éducatives frappées d?ostracisme. Notre brave éducatrice ne savait peut-être pas que le Conseil des ministres a donné le feu vert à cette légalisation. Reste à connaître le cahier des charges que l?Etat et les gestionnaires des écoles privées doivent respecter. L?enjeu est là : quels seront leurs droits et leurs devoirs (obligations) ?