Crainte L?inculpé est pris d?une peur bleue. Med Adjaout, un petit entrepreneur, roulait raisonnablement sur la bretelle de la voie rapide longeant le territoire de la commune de Kouba (Alger) lorsqu?une personne tenta de traverser la voie. Le choc a été mortel puisque le père de famille restera dans le coma une semaine avant de rendre le dernier soupir. Le chauffeur, auteur de l?accident, a attendu le départ de l?ambulance pour se rendre dans l?heure qui a suivi le sinistre, en signalant les faits. Choqué, il a tout dit à la police. La vitesse moyenne à laquelle il roulait au moment de l?accident. Quelques semaines plus tard, Med Adjaout comparaît devant Lilia Benhamlet, la juge de la correctionnelle du tribunal de Hussein-Dey (Alger). Il est assisté de Me Med Salah Bouninèche, décidé à tout entreprendre pour tirer Med du bourbier appelé par les juristes homicide involontaire, fait prévu et puni par l?article 288 du Code pénal. Mme Benhamlet prend les coordonnées de l?inculpé pris d?une peur bleue, une peur du jugement, des débats, de l?éventuelle condamnation. Il faut préciser que la plupart des justiciables ignorent totalement les articles de loi, leur contenu et surtout leur signification. Alors, entrepreneur ou pas, Mohamed demeure ligoté par une trouille sans égale. Il le demeure surtout lorsqu?il est invité par la présidente à se remémorer les faits. Il répétera six fois le mot «autoroute», le lieu de l?accident. Il a les mains derrière le dos, sa main gauche est pleine d?un mouchoir rouge sang, noirci par la moiteur de sa main. Une moiteur née, certes, de l?humidité qui a envahi ce jour tout Hussein Dey, mais aussi celle des événements douloureux qu?il doit hélas rappeler ? loi oblige. Entre-temps, la veuve, debout à quarante centimètres de l?homme qui a tué son mari, le regardant de très près, remarqua le mauvais état dans lequel il se trouvait ; derrière, sur les bancs, les enfants du défunt suivaient avec beaucoup de dignité le procès. Durs moments. Me Djamila Bakdache, l?avocate de la partie civile, dit dix mots en guise de demande puis remit les écrits à l?avocat de l?inculpé puis à la juge et enfin à Ahcène Yessaâd, le jeune représentant du ministère public, lequel requiert une peine de prison de six mois assortie d?un sursis. La magistrate prend acte et écoute Me Bouninèche plaider la cause de son client. Après avoir présenté ses condoléances à la famille, il dira que son client n?a pas enfreint les termes de l?article 288 du Code pénal. «La victime traversait la voie rapide et mon client n?a pas agi par maladresse, ni négligence, ni encore moins par imprudence puisqu?il roulait à moins de 60 km/h», a ajouté le conseil, qui a prié le tribunal de ne pas trop sévir. «Oh oui, nous ne demandons pas la relaxe, car il faut préserver les intérêts de la famille. En revanche, une amende assortie d?un sursis serait le bon verdict.» En magistrate sensée, Mme Benhamlet préfère réfléchir une semaine avant de décider du verdict. L?expérience aidant, nous allons tenter de pronostiquer. L?attente est longue : une amende avec sursis, car le défunt avait enjambé les ridelles de la voie rapide...