Accident Nous sommes sur la RN 5, le bus vide venait de Réghaïa, il se dirigeait sur Rouiba. Abderazak Ch., père de quatre bambins (la précision est de lui à la barre) a affirmé rouler à une vitesse raisonnable derrière un minibus. «Tout ce dont je me souviens au moment du drame, c?est le coup de frein subitement donné par le chauffeur qui n?a même pas signalé son intention de stopper, ce qui a fait que j?ai braqué le véhicule sur ma gauche», a raconté Abderazak tout ému, suant, les yeux embués, la chevelure en bataille et le port brisé par les mots qu?il prononce avec beaucoup de douleur. Douleur, voilà le mot qui? tue un inculpé d?homicide involontaire selon Abderazak, au moment de la subite man?uvre, une automobile «petite cylindrée» arrive sur sa gauche en sens inverse. Le choc est fatal. Achour, le chauffeur rend le dernier soupir. Sur le moment, tout alla très vite, l?homicide involontaire où si l?on veut l?accident est consommé. Désormais, dans la famille de Achour le voculaire local s?enrichit des mots : mort, deuil, défunt, veuve, orphelins et évidemment justice. Entre-temps, gardé en détention préventive, Abderazak, jeûne ; son avocat lance face à Yamina Guerfi, la juge : «Il jeûne pour, selon lui, expier sa faute, même s?il jure qu?il n?y était pour rien.» La présidente, elle, a posé douze bonnes questions autour du sinistre, elle n?a eu que quatre mauvaises réponses, car le détenu était dans un autre univers nommé «remords». Et les questions portaient sur la position du bus, du taxi, du car, l?excès de vitesse, la position de la voiture touchée de plein fouet, les premiers secours. Ici, il est bon de le souligner, Guerfi aura convenablement complété l?instruction. Ahmed Mihoubi, le fougueux parquetier, évoque du bout des lèvres le destin, mais crie son désaccord sur les courses effrénées des minibus, proies du gain facile : «Plus on roule vite et plus vite la caisse se remplit. Mais lorsqu?il y a mort d?homme on se cache derrière le destin», s?écrie debout le procureur qui réclame un huit mois ferme à l?encontre du chauffard. Avant lui et par respect aux procédures, Me Mahfoud Tamelghaghit plaide la cause de la famille du disparu. Il fait même un boucan, il parle d?excès de vitesse, des concours de courses sur nos voies rapides pour faire plaisir à «Monsieur le tueur nommé Gain rapide». Il évoque la veuve, les petits orphelins restés sans papa : «Il y a plus malheureux que la veuve, il y a la propre disparition du chef de famille, mort alors qu?il n?y était pour rien», jette l?avocat qui salue le jeûne de l?inculpé, mais regrette que «Achour ne jeûne plus ; il ne prendra plus le volant, il ne rentrera plus chez lui, les poches pleines de bonbons». L?assistance est émue, les proches, présents dans la salle, pleurent, une avocate aussi. Et, s?oubliant, le conseil exige un châtiment exemplaire, ce qui est des attributions du ministère public. Guerfi tique deux secondes pour cet empiètement des procédures, passe la main sur l?impair, comprend l?élan de Me Tamelghaghit, qui réclame les dommages et intérêts prévus par la loi. Abderazak, le détenu n?a pas levé la tête depuis presque quarante minutes. Des «choses» doivent traverser son esprit. Ah ! ces remords. C?est Me Benyounes, son défenseur, qui va lui «inoculer» un peu de courage et d?espoir «Madame la présidente, condoléances les plus sincères aux proches du défunt», dit par «protocole» le conseil qui prie la juge de bien regarder l?inculpé. «A-t-il la tête d?un tueur ? Victime lui aussi du destin, il souffre le martyre en prison, c?était un accident, c?est tout. Cela arrive tous les jours sur nos voies et artères, chaque année, l?équivalent d?un village est emporté par les accidents», explique le défenseur qui a tenu à rappeler que l?inculpé avait à choisir en deux secondes : entrer de plein fouet dans l?arrière du car qui a freiné sans signalisation, ou braquer sur la gauche ? «Il a choisi de ne pas heurter le car d?où descendaient les voyageurs au moment du drame», a encore ajouté Me Benyounès qui a prié le tribunal d?accorder les circonstances atténuantes. Guerfi préfère prendre sa décision en fin de rôle : elle condamne Abderazak à une peine de prison de huit mois assortie du sursis. De quoi couvrir la détention préventive?