Galère n Il n?a jamais été à l?école et à l?âge de six ans, il a dû travailler pour gagner sa vie et celle de sa mère. Dans cette petite ville de l?ouest algérien, on peut encore voir se dresser, l?une à côté de l?autre deux maisons : une masure presque en ruines et une belle villa qui dresse fièrement sa façade? Ces deux maisons, disent les habitants de la ville, ont appartenu au même homme, un homme qui est passé simultanément de la pauvreté la plus noire à la plus grande richesse? Mais comment peut-on être pauvre comme Job, puis devenir riche comme Corée ? Ou comme disent les gens d?ici, comment peut-on être Yub et devenir Qarun ! L?homme ? appelons-le Tahar, par commodité ? a perdu très tôt son père. Sa mère a dû se débrouiller seule pour l?élever en travaillant durement pour les autres. Ses beaux-frères, des hommes cupides, ont tout fait pour lui prendre sa part d?héritage, de sorte que son fils se retrouve complètement démuni. Lui et sa mère ne possèdent que la maison laissée par le père : une maison qui, faute d?entretien, commence à tomber en ruines. Tahar n?a que six ans quand il commence à travailler. Pas question, pour lui, bien sûr, d?aller à l?école. Pourtant, c?est un garçon très intelligent auquel l?instruction aurait certainement donné une chance de réussir dans la vie. A l?heure où les enfants de son âge apprennent à lire et à écrire, il doit, lui, garder les moutons et les chèvres des autres, couper le foin ou transporter les choses les plus lourdes contre des salaires de misère qui lui permettent à peine d?acheter du pain et du lait ! Sa mère aussi travaille : elle lave et carde la laine pour les autres, elle tisse, roule le couscous et cueille les olives, mais elle, non plus, ne gagne pas beaucoup d?argent. Et la pauvre femme, épuisée par les tâches, finit par attraper des maladies qui l?obligent à réduire ses efforts. A partir de quinze ans, Tahar commence à travailler sur les chantiers. Il gagne mieux sa vie mais l?argent gagné durement part en médicaments pour sa mère. Les mois, puis les années passent. Tahar se dépense sans compter et, à force d?économie, on parvient à mettre un peu d?argent de côté. Il répare la maison et améliore ses conditions de vie et celles de sa mère. Celle-ci pense même à le marier. «Non, non, dit Tahar, nous sommes trop pauvres pour nous permettre cela ! Et puis, quel homme et quelle femme voudraient avoir pour gendre un pauvre hère comme moi ? Personne, j?en suis sûr ! ? Tu travailles, dit la mère. Tu ne cesses d?améliorer ta situation. Et tout le monde, au village, sait que tu es un garçon sérieux. ? Sérieux, mais hélas pauvre ! ? L?argent et la richesse ne sont pas tout, dit la mère. ? Pour toi et pour moi, mais pas pour les gens !» Elle veut insister, mais le jeune homme l?arrête : «Il faut attendre encore un peu, le temps que je trouve un travail plus rémunérateur?» En fait, lui aussi veut se marier, mais il redoute de ne pouvoir assumer les responsabilités d?une famille. Et surtout, il a peur que les gens auprès desquelles il fera sa demande ne le rejettent. Tahar est pauvre, il accepte de peiner et de souffrir, mais il est trop fier pour supporter l?affront d?un refus. (à suivre...)