Portrait Le parcours d'Anna Lindh est un résumé de trois décennies de vie politique suédoise. Manifestant à 12 ans contre la guerre du Vietnam, militante sociale-démocrate à 13, cette fille d'artiste devient députée à 25 ans, puis ministre de l'Environnement et enfin des Affaires étrangères en 1998. Talentueuse, elle est la digne élève d'Olof Palme, le Premier ministre assassiné en pleine rue en 1986 ? un crime à ce jour non élucidé. Elle partage les préoccupations sociales de ce mentor, son goût pour les affaires du monde et jusqu'à sa tragique destinée. Mais si Palme, personnage cassant, fut autant haï qu'admiré, Anna Lindh était capable de séduire toutes les classes sociales, celle des beaux quartiers comme celle de la banlieue multiculturelle de Rinkeby. Ainsi, l?autre vendredi, les fidèles de la mosquée de Stockholm ont, eux aussi, prié pour cette ardente militante de l'intégration des Kurdes, des Somaliens ou des Iraniens. Anna Lindh était tout simplement la «princesse héritière» vouée à succéder à Göran Persson et à devenir la première femme chef du gouvernement. «Anna représentait le meilleur de la Suède et nous étions fiers d'elle», résume cette jeune femme en sanglots venue ajouter une rose à la montagne de fleurs érigée sur les lieux de son assassinat. A l'étranger, cette blonde virevoltante était le (rayonnant) visage de la Suède, capable de faire à nouveau entendre la voix de son pays, silencieux depuis deux décennies, dans le concert des nations. Sans agressivité inutile, elle critiquait avec franchise Silvio Berlusconi ou l'intervention américaine en Irak. Ce qui n'empêcha pas Colin Powell, subjugué, de répéter : «Il y a trois bonnes choses en Suède: Abba, Volvo et Anna.» Qu'une personnalité aussi exposée dans les médias n'ait bénéficié d'aucune protection rapprochée étonne, voire choque les observateurs étrangers... mais ne surprend guère ni ne scandalise les Suédois. Un peu comme si ces derniers étaient prêts à payer ce prix pour préserver l'authentique démocratie directe qu'ils se sont choisie. «Mes compatriotes veulent que les représentants du peuple vivent, comme leur nom l'indique, parmi le peuple, et non pas au-dessus des autres citoyens. Anna Lindh se rendait à son travail à pied ou par les transports en commun. Tout le monde trouve cela normal. La notion de «garde du corps», inconsciemment associée à celles de «limousine» et de «caste privilégiée», heurte l'idéal national : ici, élus et électeurs doivent vivre la même réalité. Il n'y a pas de Suède d'en bas ni de Suède d'en haut», explique Ake Daun, sociologue spécialiste de la mentalité suédoise. Cette exigence de proximité constitue la pierre angulaire de ce que les Suédois appellent une société «ouverte» (par opposition aux sociétés «fermées» de type français). Un égalitarisme qu'on retrouve consigné dans le Code civil, par exemple, au travers de la loi Allemansrätten, qui interdit de clôturer les terrains privés non agricoles en zone rurale ou de privatiser une forêt. Motif : l'espace naturel doit demeurer accessible à tous. Quant au «principe de transparence», il stipule que toute correspondance administrative non estampillée «secret défense» est immédiatement consultable par quiconque, sur simple demande. La «réforme du tu» élaborée dans les années 1960 et qui a conduit à l'abolition du vouvoiement est une autre illustration de cette volonté, un tantinet soixante-huitarde, d'abattre la hiérarchie et les barrières sociales.