Débat n «L?Algérie et Sartre» était le thème d?une conférence, jeudi, au Centre culturel français d?Alger. Animée par Annie Cohen-Sola, spécialiste et autobiographe de Jean-Paul Sartre, écrivain et philosophe français qui a marqué son temps pour son combat intellectuel contre le colonialisme et les discriminations raciales ainsi que contre toute forme de guerre, la rencontre a permis d?éclairer amplement sur le rapport de Sartre avec l?Algérie. «Le nom de Sartre reste lié à la Guerre d?Algérie», dit l?intervenante. Et d?ajouter : «La Guerre d?Algérie devient la guerre de Sartre dans laquelle il porte ses marques.» Annie Cohen-Sola dira que Sartre, qui est contre la poursuite de la colonisation, a manifesté très tôt sa solidarité avec les Algériens dans leur lutte de libération. Plus tard, en 1960, «le manifeste des 21», rédigé par Sartre et qui a porté les signatures d'un bon nombre d?intellectuels français pour dénoncer les exactions commises par l?armée française contre les révolutionnaires algériens, a plongé la France dans une situation dramatique. Ainsi, Sartre intente, intellectuellement parlant, un procès contre l?Etat français. «Son poids symbolique (voire sa philosophie) fait renverser l?opinion publique, la divise autour de la torture pendant la Guerre d?Algérie.» Mais aussi il devient l?intouchable et échappe aux lois françaises : vu que la France est une République et un Etat érigé sur les principes même de la démocratie, Sartre ne pouvait être réduit au silence ou faire l?objet d?une quelconque incarcération. D?ailleurs, à la suite de ce manifeste qui a provoqué de vives réactions au sein des politiques et des intellectuels et aussi de la société française, le général de Gaulle, de crainte de s?aliéner l?opinion publique et internationale, décida alors d?épargner le philosophe et prononça à son sujet la célèbre phrase : «On n?emprisonne pas Voltaire.» Sartre est un héritier de la culture et de l?histoire françaises, mais cela ne l?a pas empêché d?être subversif à l?égard de la France et de remettre en cause sa politique relative à la colonisation. «C?est un militant éthique», il est, selon la conférencière, le pionnier de la découverte et de l?exploration de la culture de l?autre, donc de l?interculturalité. Lors de la conférence, l?assistance, notamment les jeunes étudiants, a déploré que l?apport de Sartre à l?Algérie et sa philosophie ne soient pas enseignés à l?école, sachant que, selon la conférencière, de nombreux politiques, à l?époque, même Abdelaziz Bouteflika, se sont nourris de sa pensée. Les étudiants se sont ainsi interrogés avec désolation sur ce black-out. Smaïl Abdoun, professeur de lettres françaises à l?université de Bouzaréah et qui a animé le débat, soulignera que cette occultation est d?ordre politique. Car la philosophie de Sartre parle de liberté et fait parler la liberté ; et véhiculée tel enseignement dans les écoles, c?est remettre en cause les institutions de l?Etat et subvertir l?ordre politique. Il n?était donc pas question d?enseigner Sartre dans un pays jeune récemment indépendant, en état de se reconstruire et de recouvrement de sa souveraineté. «Si Sartre était encore en vie, il serait été invité par le président de la République, comme tous ceux qui ont contribué à la Guerre de libération», dira un intervenant.