Quand elle évoque El-Biar, qu'elle a quitté à l'âge de 14 ans, Annie Cohen-Solal dit spontanément son attachement à la terre d'Algérie dont elle revendique la paternité historique culturelle. “C'est ce qui a fait peut-être que je me consacre à l'anthropologie et à l'œuvre de Jean-Paul Sartre pour reconsidérer ma place et celle de ma famille dans la culture judéo-algérienne qui a toujours accompagné ma vie”, affirme la biographe de Jean-Paul Sartre. L'introduction en matière de représentation s'est donc faite tout naturellement, hier, avec l'auteur de Sartre dans son siècle au siège du Centre culturel français à Oran où elle était arrivée, avant-hier en fin de matinée. “Lorsque j'au lu pour la première fois Sartre, j'ai aussitôt compris que le fondateur de l'existentialisme rendait déjà compte de la complexité de la situation en Algérie. Sartre avait énormément d'ironie et de dérision quand il affirmait que nous avons peur de voir notre visage trois fois de suite”, dira Annie Cohen-Solal. Etrillant au passage le fameux décret Crémeux de 1871, l'anthropologue ne s'offusque guère de cet “acte d'arrachage” dont a longtemps souffert sa communauté “installée en Algérie bien avant l'ère chrétienne”. Partie d'Algérie il y a 43 ans, Annie Cohen-Solal déclare redécouvrir tout naturellement la chaleur, l'humour, le sourire et la sensualité durant sont bref séjour à Oran. “L'Algérie m'accompagne tous les jours malgré l'éloignement de l'Italie et des Etats-Unis où je vis à présent, ce qui m'empêche pas de préparer mon couscous tous les vendredis comme nous le faisions en famille dans le djebel d'El Biar”, affirme-t-elle à l'adresse des journalistes assis autour d'elle. “C'est pour être proches et discourir naturellement”. Mais, en reprenant un peu la discussion autour de Sartre et la guerre d'Algérie, Annie Cohen-Solal avoue sans ambages son engagement politique autour du philosophe, dramaturge, romancier et journaliste politique qui fut une “personnalité majeure de la vie intellectuelle française de la seconde moitié du XXe siècle et la figure de proue de l'existentialisme humain”. Sans doute en référence au militantisme du réseau Jeanson et de la position idéologique aux antipodes de l'extrême gauche française de Jean-Paul Sartre, Annie Cohen-Solal s'inscrit en droite ligne dans le Manifeste des 121, une pétition signée en 1960 par 121 personnalités françaises contre la guerre d'Algérie et appelant à l'insoumission les recrues. “Mais, il a fallu aussi que je lise Frantz Fanon pour comprendre historiquement la vérité sur cet état de fait chaotique, pour comprendre que les colons ont été privilégiés par rapport aux Algériens”, dira encore Annie Cohen-Solal. Docteur ès lettres et professeur des universités à l'université de Caen (chaire d'études américaines) et à l'EHESS (sociologie de l'art américain), elle a participé au Dictionnaire Sartre et a publié, en janvier 2005, deux nouveaux ouvrages : Sartre, un penseur pour le XXIe siècle et Jean-Paul Sartre. Actuellement, elle prépare un livre sur la Kahina, “un livre qui m'a été inspiré par mes origines judéo-algériennes que je ressens quotidiennement au toucher des choses que j'ai laissées naguère en Algérie”, dira Annie Cohen-Solal presque sur le ton de la confidence… et de la sensualité. B. GHRISSI