Reprise n Avec la paix qui semblait s'installer, le Liban avait retrouvé le goût de la ligne droite. Et l'autoroute qui se déroulait de Beyrouth à Tyr était le symbole de ce nouveau départ. Quatre semaines de pilonnages israéliens ont renvoyé les Libanais sur les chemins tortueux que leur réservent les guerres : les ponts détruits et les routes défoncées ont morcelé un pays à peine ressoudé. Beyrouth, 11h du matin. Les tunnels de l'autoroute qui longe le bord de mer à la sortie de la ville, sont vides. Trop belles cibles sans doute pour les bombes israéliennes qui visent systématiquement, depuis le 12 juillet, les infrastructures du pays. Le chauffeur accélère, la route est déserte. Cette autoroute vers Saïda et Tyr marquait la renaissance du pays. Construite sous la houlette de l'ancien Premier ministre assassiné Rafic Hariri, elle devait désenclaver le sud, longtemps ignoré par le pouvoir central et prêt à fournir ses bataillons de déshérités aux causes les plus intransigeantes, comme celle du Parti de Dieu, le Hezbollah. A droite, les plages sont vides. Les maisons aussi, tout comme les hôtels et les restaurants. 11h 07. L'autoroute, défoncée par d'énormes bombes, est impraticable. Les déviations commencent : les rares véhicules s'engagent sur une voie étroite, poussiéreuse et défoncée, bordée de magasins fermés. Saïda n'est plus qu'à quelques minutes, mais une bombe en a décidé autrement. Dans un vallon boisé, un pont minuscule s'est écroulé. Il est pourtant si modeste que ceux qui l'empruntaient auraient pu espérer qu'il passe inaperçu aux aviateurs israéliens. Virage à gauche et ascension des flancs pentus de la montagne druze du Chouf. Une route ombragée le long d'une rivière et, ici aussi, des restaurants qui attendent les clients. Traversée du gros bourg de Baâqline, paisible : un jeune homme sur sa bicyclette peine dans une montée, des hommes prennent le café sur une terrasse, les étals regorgent de fruits et de légumes. Virage à droite, et descente en zigzag sur l'autre versant. Les villages ont été pris d'assaut par les déplacés du sud. Les rues sont encombrées. Les passants se bousculent, les automobilistes enragent. Des colonnes de voitures arrivent du sud, drapeaux blancs aux fenêtres. Enfin, les faubourgs de Saïda, dépeuplés. La radio annonce que la marine israélienne bombarde la route côtière, il faut l'éviter. Nouveaux détours, jusqu'à la place centrale, point de rencontre de tous ceux que le conflit a jetés sur les routes. Il est 13h 00, il aura fallu deux heures pour un trajet qui prend 20 minutes en temps de paix. Dernier tronçon de route avant Tyr, sur le littoral. Une station d'essence est partie en fumée. Sous les bâches de plastique des serres, les cultures privées d'eau se dessèchent. Les rares voitures filent à tombeau ouvert dans les bananeraies, sous l'œil de portraits géants des grands noms du chiisme, l'imam Moussa Sadr, le héros libanais, et l'imam Khomeyni, le guide de la révolution iranienne.