Des Algériens racontent, à notre reporter, le cauchemar qu'ils ont vécu à Tyr au Liban-Sud. L'agression de l'armée israélienne au Liban n'a pas fait que des morts. Etant une guerre de destruction, elle possède son lot de malheureux. Les déplacés, les réfugiés et les sans-abri font partie du nouveau paysage libanais. Ils payent le prix de la guerre. Les localités réputées fiefs du Hezbollah ont été systématiquement détruites. Le Sud-Liban et la banlieue de Beyrouth sont les cibles prioritaires de l'aviation israélienne, car elles connaissent la plus grande concentration de musulmans chiites. Mais ce n'est point le seul critère établi par Israël pour signer ses carnages. Tout le Liban devait être châtié pour avoir laissé s'organiser la résistance au Sud Liban sous la houlette de Hassan Nasrallah et de son parti politique, le Hezbollah. Cette guerre injuste imposée à la population libanaise a déplacé plus de 900.000 personnes, dont 200.000 ont quitté le Liban, selon les chiffres officiels. N'était-ce la solidarité entre les différentes communautés libanaises, le tribut à payer en vies humaines dans cette guerre aurait été plus élevé. Les bons Samaritains ont foisonné au pays du Cèdre pour ouvrir leurs bras et accueillir leurs concitoyens d'infortune. Même si l'immense majorité des réfugiés a trouvé un abri dans des écoles, parkings et édifices publics épargnés par les obus israéliens. Parmi les familles ayant quitté le Liban en guerre figurent en premier lieu les ressortissants européens et américains dont certains vivent au Liban depuis des années, d'autres sont venus passer des jours paisibles dans cet havre de paix qu'est devenu le Liban d'après-guerre. Des milliers d'entre eux ont été rapatriés dès les premières heures du conflit par leurs gouvernements respectifs. D'autres n'ont eu leur salut que grâce à l'assistance des représentations diplomatiques de leurs pays. C'est le cas de la communauté algérienne vivant ou de passage dans ce pays, à l'instar de milliers d'autres, venus passer des vacances. Pour témoigner de cette détresse vécue par ces populations victimes de guerre, nous avons approché les membres d'une famille algérienne vivant dans la ville côtière de Tyr rentrée à la hâte en Algérie. Ville prise dans le collimateur des bombardements intenses de l'armée israélienne. La famille Bazi, composée de six personnes, est établie depuis longtemps sur cette terre, qu'elle a dû quitter à la hâte, pour ne pas périr. Ali, l'aîné des garçons, nous relate les péripéties d'un calvaire vécu tel un brutal cauchemar sorti des méandres de cette nuit du 12 juillet. Un cauchemar qui donnera le relais à une vie d'enfer qui ne cesse d'endeuiller le Liban. Tyr vivait dans la joie La ville paisible de Tyr accueillait une saison touristique annoncée particulièrement fructueuse et «rien ne laissait présager d'une guerre» nous dira notre interlocuteur. «Les touristes de toutes nationalités déferlaient comme jamais. Même les immigrants libanais ont inondé les plages , les marchés....de tous les villages. Cana, Jwaya, Anssar, Beint Jbeil sont des localités qui rayonnaient d'une prospérité incroyable. les terrasses, les cafés, les spectacles regorgeaient de vie et de monde. Malgré les appréhensions de remous intérieurs et de différends entre les multiples confessions et partis politiques. Tyr comme toutes les autres grandes villes vivait dans la joie» nous raconte Ali. Jusqu'à cette fatidique date du 12 juillet 2006. C'était un mercredi, «paisiblement, dit-il, nous avions pris la route en direction de Beyrouth de bon matin pour rendre visite à des cousins. Arrivés à destination à 10h, nous avons appris que le pont qui enjambe le Litani (fleuve du Sud Liban) a été bombardé par Israël. Ce fut le désarroi total, comment retourner chez soi? comment retrouver sa famille? La banlieue sud fêtait encore l'évènement de la capture des deux soldats israéliens sans nullement penser aux représailles». De retour sur la ville de Tyr, qui fût laborieux par piste et détours, cette famille algérienne rejoint son domicile saine et sauve mais avec beaucoup d'appréhensions. Israël est juste à côté et une réaction de sa part était prévisible. «L'atmosphère respirait déjà la guerre. les bombardements avaient commencé aux alentours de la ville. Des apaches et des MK (avions d'espionnage) planaient durant toute la nuit autour de la ville tels des prédateurs prêts à fondre sur leurs proies» se remémore Ali. Le vendredi 14 juillet, les bombes pleuvent sur les vergers aux alentours de la maison de Ali. Les images annonciatrices du drame défilent devant les yeux ébahis de notre témoin inquiet. L'heure est grave. «Tout au long de la journée, dit-il, les habitants de la ville se sont attelés à préparer les abris de secours de fortune. Les garages, et les dépôts de marchandise sont pris d'assaut». 21h 5mn, des bombes explosent sur l'immeuble qui fait face à sa maison suivies de coupure d'électricité et de la ligne du téléphone. La famille est coupée du monde. Le choc produit le chaos. Personne n'ose pointer le nez dehors. L'horreur est là et personne ne vient au secours des victimes touchées par les bombes. Les avions redoublent de férocité et crachent un feu nourri sur la ville et ses alentours. Ali et sa famille vivent cette nuit d'horreur cloîtrés sur le palier de la maison, pris au piège. Au lever du jour, une certaine accalmie est constatée, les habitants, peu nombreux, profitent pour sortir dehors. C'est le choc. L'apocalypse. L'immeuble d'en face n'existe plus. Un grand cratère qui fumait encore a pris place. Les voitures sont broyées et calcinées dans un désordre indescriptible. Ce silence sera déchiré par la riposte des combattants du Hezbollah. Ali verra de visu des missiles partis de la colline d'à côté, prendre leur envol en direction du nord d'Israël. Lui et sa famille n'auront que le temps de quitter les lieux pour aller se réfugier auprès du domicile d'une tante habitant le centre ville de Tyr. En cours de route les images d'horreur défilent. Les rues sont vides. Pas une âme qui vive. Sauf quelques voitures en folie qui prennent la route vers le nord du pays. L'exode des populations commence. Arrivée à destination, la famille d'Ali profite de la vue qu'offre l'appartement de la tante perché au 7e étage d'un immeuble pour assister en direct, cette fois-ci, aux bombardements de l'aviation israélienne. Les stations d'essence de Bordj El Chamali et d'El Hoch flambent en premier, fait remarquer notre interlocuteur. Dans l'après midi un immeuble de 15 étages est pris pour cible. Son abri sous-terrain n'est pas épargné, faisant des morts par dizaines et des blessés. Une odeur de soufre et de brûlé se dégage des décombres. «Après avoir passé une nuit d'enfer, raconte-t-il, nous avons décidé de quitter Tyr définitivement en direction du nord du pays. Les bombardements israéliens n'épargnent rien. Les villas, les écoles, les immeubles, les alentours de l'Hôpital sont anarchiquement détruits». Un autre départ précipité pour la famille de Ali. Un départ à la hâte avec comme seul bagage des passeports, de l'eau potable, du pain et la peur au ventre. Une seule idée taraude la famille algérienne qui se sent prise au piège. Survivre. Les interrogations foisonnent. Où aller? Et surtout comment faire? Le désarroi est total. Les mêmes craintes hantent l'esprit des membres de toute la famille et des cousins. Décision est prise de quitter Tyr laissée en ruine. Les frères, soeurs, mères, tantes et oncles avec leurs enfants sont d'accord même s'ils ont tous vécu les drames précédents du Liban comme tient à nous le signaler Ali, «nous avions, explique-t-il, déjà vécu toutes les guerres de 1982 à 1984 les ´´raisins de la colère´´, la guerre des camps 1986, la guerre des 7 jours 1993, 1996 la guerre des 17 jours stoppée après le massacre de Cana, mais celle-ci ne présageait rien de bon. Elle est atroce». Le père a pris la décision de rester. Il est toujours sur place. Y a-t-il d'autres familles algériennes dans la ville de Tyr? Oui nous répondra Ali qui nous donnera même de précieux détails. «Les familles algériennes à Tyr sont nombreuses, dit-il, appelées Magharba, qui sont, en fait, des kabyles surtout qui ont atterri au début du siècle dernier au nord de la Palestine (Al Dichoum) et qui ont dû quitter cette terre annexée par Israël en 1948 vers le sud du Liban pour s'y installer jusqu'à nos jours». «Ils vivent dans des camps de palestiniens, Bordj El Chamali , El Bass, et Jal El Bahr», précise-t-il. Comme il y a d'autres familles issues de mariages mixtes, de conjointes généralement algériennes qui avaient aux dernières nouvelles, aussi, essayé de fuir le Liban. Pour assouvir notre curiosité, quant à savoir si les combattants du Hezbollah étaient présents dans cette ville de Tyr dévastée par les tirs israéliens, nous avons eu la réplique suivante: «on entendait leur riposte des montagnes lointaines de la ville mais on ne les voyait pas et Israël envoyait des tracts de menaces nous enjoignant de quitter les villes et endroits à proximité de toutes les institutions ou bâtisses qui puissent servir de refuge aux combattants du Hezbollah». Les objectifs visés par l'armée israélienne sont, à mon avis, enchaîne notre réfugié, civils puisque le Hezbollah ne possède ni base militaire, ni siège politique à Tyr. Israël a fait donc la guerre à des civils car les casernes de l'armée régulière du Liban n'ont pas, à ce jour, réagi à l'agression. Ils sont restés cloîtrés dans les casernes. D'ailleurs pouvait-il en être autrement pour cette armée qui n'avait pas de quoi se défendre. Ali nous fera savoir à ce sujet que les Libanais comptent plus sur l'armée de résistance du Hezbollah pour défendre le pays que sur une quelconque autre armée. C'est ce qui explique l'attachement d'une bonne partie de libanais, toutes confessions confondues, au symbole de la résistance, Cheikh Hassan Nasrallah. Parlant des relations entre différentes communautés druze, sunnite, chiite et chrétienne du Liban, il nous citera l'exemple du geste «des chrétiens, des druzes et des sunnites qui ont accueilli toutes les personnes qui ont fui le sud en feu». Tyr, dit-il, vivait en parfaite harmonie avec ces communautés de chrétiens, sunnites chiites...ces derniers sont même allés se réfugier dans les églises pour échapper au déluge de feu israélien. Les bombes «intelligentes» Israël a, à l'occasion de cette guerre, utilisé les armes de destruction les plus modernes aux conséquences désastreuses. Des bombes phosphoriques, bombes à guidage laser. Celles que les Américains ont baptisé «bombes intelligentes» lors de l'invasion d'un autre pays arabe, l'Irak. On commence à se demander s'il ne s'agit pas de bombes «racistes» conçues exclusivement pour tuer intelligemment les petits arabes rebelles. Notre concitoyen installé au Liban ne comprend pas toute cette haine déversée par «la déferlante de cette technologie militaire sur un petit pays ne possédant même pas une armée pour se défendre. Contraint à subir un embargo aérien, maritime et même terrestre jusqu'à paralyser même toute tentative de porter secours aux blessés. Laissant les cadavres se décomposer à même la rue ou gisant sous les décombres de leurs habitations détruites». On apprendra aussi que les tonnes de bombes lâchées sur le Liban, transformé en gigantesque champ de bataille, de par la fumée et la poussière soulevées, ont transformé le «jour en nuit». Pour conclure leur témoignage, Ali et sa famille n'ont pas omis d'avoir une pensée en direction du personnel de l'ambassade d'Algérie au Liban qui a été d'un grand secours à la communauté algérienne établie dans ce pays, lequel a fait sentir le soutien et le réconfort des autorités algériennes à une communauté en détresse. Un comportement qui conforte tout Algérien fier de son pays.