Les aborigènes d'Australie étaient environ 350 000 en 1788, lorsque l'Angleterre décida de mettre les pieds chez eux et de les exterminer systématiquement. Parmi les quelque 80 000 qui survivaient en 1950, certains, comme Tuga, sont métis de Blanc et de Tasmanien. Il n'y a plus de Tasmaniens. Plus du tout. La dernière représentante de la race s'est éteinte en 1877. C'était une femme du nom de Truganina. Tuga est balayeur dans un garage de Sydney. Quelque part en lui, il porte les gènes du premier homme du monde, un Australopithecus qui mesurait 1,25 m et avait une capacité cérébrale de 600 cm3, disent les ethnologues. C'est-à-dire à peu près celle d'un gorille. L'homme actuel dispose de 1 600 cm3, au mieux de sa forme. Henry Foster, par exemple, Australien blanc, d'origine anglaise. Sa maison est en face du garage où balaie Tuga. Henry Foster est un inventeur génial et reconnu. Plusieurs de ses inventions ont servi aux Anglais et aux Australiens pour des essais atomiques communs sur la base de Woomera. Il s'est spécialisé dans les robots. Henry Foster est un homme riche, heureux qui poursuit ses recherches scientifiques dans son propre laboratoire privé à Sydney. Juste en face du garage où balaie Tuga. Qui, lui, n'a rien inventé. Ses ancêtres étaient chasseurs, cueilleurs ; ils ne sont plus. Ceux qui restent, les aborigènes, ont, de nos jours, un quotient intellectuel égal à celui des Blancs, disent encore les ethnologues. A niveau de vie égal bien sûr, ce qui est extrêmement rare. Tuga, par exemple ne peut prétendre au même quotient intellectuel qu'Henry Foster. Il est pauvre, inculte, un traîne-misère sur sa propre terre, dont il est devenu le sous-développé balayeur. Tuga s'appuie sur son balai et dresse l'oreille. Il renifle aussi et gratte sa chevelure laineuse avec perplexité. En face, la jolie maison de briques des Foster sent le feu. Et il perçoit une explosion. Un panache de fumée s'élève et Tuga, comme les autres employés du garage, se précipite au-dehors. Quelqu'un appelle les pompiers. Les sirènes de police hurlent, l'ambulance s'arrête devant Tuga. Le descendant du plus ancien des hommes regarde passer sur une civière le représentant des plus évolués des hommes. Un homme mince, grand, aux tempes argentées, au visage finement dessiné sous un front immense et bombé, couvert de sang. — C'est le savant, dit-il à un policier. — Ecarte-toi de là... Allez, du vent… Laisse passer. C'est le savant qui passe. Sa femme, à ses côtés, lui tient la main. Lucy, une grande femme blonde aux yeux bleus, le type même de l'Australienne actuelle, dirait encore un ethnologue. Ils s'aiment depuis vingt ans, ces deux-là. Lucy est la collaboratrice attentive et fidèle de son savant de mari. Ils n'ont pas eu d'enfants, mais tant de robots... Un policier demande à Tuga : «T'as vu ce qui s'est passé ?» On craint un attentat peut-être, une vengeance, une histoire d'espionnage. Tuga répond : «Boum... fumée...» Et il retourne à son balai. Il n'est pas savant, mais détenteur d'une sagesse ancestrale qui lui recommande de se tenir éloigné de la folie des Blancs. Dans l'ambulance, Lucy a du mal à contenir son angoisse. Les blessures sont graves, Henry est dans le coma. Touché à la tête. Le médecin aussi est inquiet. (à suivre...)