Malheureusement beaucoup d'orientalistes, en raison d'une prévention chronique, suspectent a priori l'apport des musulmans dans ce domaine. Ce préjugé défavorable dénoncé déjà par le regretté Louis Massignon, a amené quelques-uns d'entre eux, à propos du point de vue de l'islam sur Abraham, à des conclusions discutables. Goldziher soutient que le zabîh était Isaâc, non Ismaël. L'abbé Yves Moubarac souscrit docilement à cette hypothèse. L'un et l'autre entendent ainsi mettre en doute tout ce que la Tradition musulmane rapporte au sujet de la construction de la Kaâba et du drame de Hagar. De là à réduire à néant la signification du pèlerinage canonique et la valeur spirituelle que perpétue pour l'islam le sacrifice d'Ismaël, il n'y a qu'un pas. Pas franchi allègrement par l'abbé Y. Moubarac, qui voit dans la conception musulmane du zabîh deux périodes. Selon lui, le Coran serait imprécis sur la question et les premières générations de musulmans auraient vu en Isaâc le fils porté à l'immolation. Ce serait seulement à partir du règne de Omar Ibn Abdelaziz qu'Ismaël aurait été substitué à Isaâc, dans la version islamique. Or, il est malhonnête de tirer une conclusion en faveur de la tentative d'immolation d'Isaâc en invoquant le Coran. En fait, on peut relever, dans sa version latine, ce verset : «Nous avons reçu d'Abraham et d'Ismaël l'engagement de purifier Mon Temple à l'intention de ceux qui (viendront) tourner autour, y faire une retraite, s'incliner et se prosterner.» Il s'agit, dans le Coran, d'Ismaël et non d'Isaâc, du Temple de la Kaâba, de la circumambulation, rite important du pèlerinage lié au jet symbolique de pierres, à Mina, que domine le mont où se place l'événement et de l'intention d'Abraham d'immoler son fils Ismaël à Dieu. Telle est l'opinion finale des auteurs musulmans à la lumière du Coran, de la Sunna et de l'information historique. C'est ainsi que l'historien et biographe Abou El-Fidâ écrit dans sa biographie bien connue du Prophète : «Dieu a annoncé la bonne nouvelle à Abraham, de la naissance d'un tendre enfant qui était Ismaël ; c'était son premier enfant ; le patriarche avait alors quatre-vingt-dix ans.» C'est là un fait qui ne soulève aucune discussion entre les adeptes des différentes confessions : Ismaël était son fils aîné et le premier de sa postérité. Faire dire aux sources musulmanes et en particulier au Coran, ce qu'elles n'ont jamais dit, c'est se montrer un faussaire avéré, un menteur. Assurément le texte biblique place le lieu de l'immolation à Marijja, nom inconnu qu'une tradition tardive hébraïque identifie avec la colline sur laquelle fut construit le temple de Jérusalem. Mais tout le monde n'est pas d'accord sur cette identification. La tradition samaritaine y voit le Garizim et la tradition chrétienne le mont du Calvaire. (à suivre...)