Il y avait un sultan qui avait sept femmes et sept juments. Cependant, il était bien malheureux ; car ses femmes et ses juments étaient toutes stériles. Ne pouvant pas se résigner à son sort, il rendit visite un jour au sage El-Moudjarrab. — Maître, conseille-moi : mes femmes et mes juments ne veulent rien me donner ; ma peine est grande. Le vénérable vieillard prit sept pommes et sept baguettes qu'il tendit au sultan. — Partage ces sept pommes entre tes sept femmes et fouette chacune de tes juments avec une baguette. Après cela, tes femmes et tes juments seront pleines et tu seras comblé. Sur le chemin du retour, le sultan examina de près les sept pommes. Il les trouva si belles et si odorantes qu'il ne put s'empêcher de mordre dans l'une d'elles. Il croqua ainsi la moitié d'une pomme. Aussi, lorsqu'il fut chez lui, l'une de ses femmes, la plus dédaignée, n'eut droit qu'à une moitié de pomme. Le sultan fouetta ensuite les juments avec les baguettes, et bientôt femmes et juments furent pleines, à sa grande satisfaction Au bout de quelque temps, les femmes donnèrent le jour à sept garçons et les juments mirent bas sept merveilleux poulains. Contrairement à ses six frères qui étaient tous d'une complexion robuste, l'enfant né de la femme dédaignée, celle qui n'avait mangé qu'une moitié de pomme, était bien chétif. Hormis sa mère qui le chérissait tendrement et veillait sur lui, tout le monde se moquait de sa petite taille en l'appelant moitié d'homme. On ne lui donna jamais d'autre prénom ; et, comme sa pauvre mère, il fut du reste négligé par le sultan qui n'avait d'attention que pour ses autres enfants. Quand les six garçons en faveur grandirent et devinrent des jeunes hommes, leur père décida de les mettre à l'épreuve pour juger de leur valeur. Il imagina donc une ruse : simulant la maladie, il s'alita, appela ses enfants et leur dit : Mes enfants, je suis atteint d'un grand mal, et je vais bientôt mourir, car mon remède est difficile à avoir. — Quel est ce remède, père ? Nous retournerons ciel et terre s'il le faut pour te le procurer. — Il s'agit des pommes de senteur du jardin de l'ogre et le lait de la lionne renfermé dans une outre en peau de lionceau liée avec les moustaches du lion. Seriez-vous capables mes enfants de me rapporter ces deux choses ? Oui, père, dirent-ils avec vantardise. Nous sommes des hommes valeureux et les périls ne nous impressionnent point. Les six garçons prirent leurs fusils, se mirent en selle et partirent à grand fracas. Moitié d'homme, qui avait écouté son père derrière la porte, les laissa s'éloigner, puis se déguisa, monta sur son cheval et les suivit à distance. L'ardeur des six valeureux cavaliers tombait au fur et à mesure qu'ils s'éloignaient de la ville. Finalement leur courage les abandonna tout à fait. lIs s'arrêtèrent, paralysés par la peur de l'ogre et des fauves qu'ils auraient à affronter s'ils devaient aller au bout de leur mission. Notre père a perdu la raison, dirent-ils. Il nous envoie tout droit à la mort. Ce qu'il nous a demandé, nul homme n'est capable de le réaliser. Comment pourrait-on tromper la vigilance de l'ogre pour lui dérober quelques pommes et prendre à la lionne son lait et au lion ses moustaches ? lIs demeurèrent ainsi au milieu du chemin, perplexes et indécis : ils n'avaient de courage ni pour affronter les périls, ni pour rentrer bredouilles auprès de leur père. C'est alors qu'ils furent abordés par moitié d'homme, méconnaissable sous son déguisement. Il leur demanda la raison de leur halte. lIs ne firent pas mystère de leur mission et même lui firent part de leur immense embarras. (à suivre...)