Les yeux du pauvre pêcheur se remplirent de larmes. Qu?était devenue sa douce épouse ? Une harpie sans c?ur ! Mais déjà, obéissant aux ordres de la méchante femme, un valet le frappait à coups de fouet, et il dut se rendre à l?écurie. Une semaine passa, puis une autre? Cette nouvelle vie plaisait infiniment à la femme du pêcheur. Elle changeait de vêtements à longueur de journée et passait son temps à s?admirer dans les miroirs. Les domestiques étaient intarissables de compliments, mais tous, dans son dos, disaient du mal d?elle. Un jour, elle en eut assez de changer sans cesse de parures et fit chercher le vieux pêcheur à l?écurie. ? Par ta faute, dit-elle d?une voix désagréable, je ne suis qu?une bourgeoise insignifiante. Si tu avais eu un peu de plomb dans la cervelle, tu aurais demandé au poisson de me faire reine. Il n?est pas trop tard pour bien faire, retourne au bord de la mer ! ? Tu es devenue folle ? s?écria le vieil homme avec colère. ? Tais-toi, déguenillé ! répliqua sèchement la méchante femme. Comment oses-tu parler de cette façon à ta maîtresse ? File, ou tu seras fouetté ! Le pauvre pêcheur n?avait plus qu?à obéir. ? Poisson, joli poisson doré, murmura-t-il. Je suis si confus? mais ma femme voudrait plus encore? ? Que veut-elle ? demanda aussitôt le poisson. ? Ma femme veut devenir reine, dit-il en rougissant de honte. ? Je vais t?aider, répondit le poisson, ayant pitié du brave homme. Ta femme veut devenir reine, elle le sera, mais c?est la dernière fois, je ne veux plus jamais entendre parler d?elle. Le pauvre pêcheur n?eut même pas le temps de le remercier, le petit poisson doré avait disparu dans les vagues. ? Ce serait vraiment un comble si ma femme me traitait d?imbécile, pensait-il en rentrant chez lui tout heureux. Au détour du chemin, il resta soudain comme pétrifié. Devant lui se dressait un palais merveilleux, tout de dorures, brillant de mille feux. Le vieil homme gravit l?escalier monumental et entra dans une vaste salle de réception. Trônant au bout d?une longue table, au milieu de comtes et de comtesses, sa femme tenait, à pleine main, comme un sceptre, une énorme cuisse de canard. Entourée de serviteurs, la vieille femme mangeait bruyamment, en claquant la langue, puis essuyait sa bouche grasse à même sa jupe. Le vieil homme était si heureux qu?il eut envie de rire. ? Reine, dit-il avec respect, j?espère que vous êtes satisfaite de votre vieux et stupide mari. Je pense que vous saurez récompenser mes efforts et que vous me laisserez une place à votre table. Pauvre vieillard naïf ! Il n?était pas au bout de ses peines. ? Disparais de ma vue, misérable ! hurla la vieille femme à son adresse. Ne vois-tu pas que je gouverne ? Elle claqua des doigts et des gardes attrapèrent le vieil homme par le col et le jetèrent dehors. Une semaine passa, puis une autre? et la vieille femme se lassa d?être reine. Elle ordonna aux gardes d?aller chercher son mari. ? Retourne voir ton poisson doré, hurla-t-elle dès qu?il eut franchi la porte, et dis-lui que je veux devenir reine de toutes les mers et de tous les océans ! Le poisson doré sera mon serviteur. Le vieil homme n?osa pas répliquer. Il s?inclina et sortit. Il marcha très lentement jusqu?au bord de la mer et s?assit sur la grève. Que faire ? Il avait honte, mais n?avait pas d?autre solution que d?obéir à sa femme. A voix basse, il appela le poisson. L?horizon devint noir comme l?encre, le vent hurla et la mer se déchaîna. ? Que me veux-tu encore ? demanda le poisson en colère. ? Ma femme est certes un peu bizarre, mais personne n?est parfait, bredouilla le vieux pêcheur. Pourrais-tu, encore une fois, exaucer son v?u ? Elle désire devenir la reine de la mer et que tu sois son serviteur. Le poisson ne répondit pas, il donna un coup de nageoire sur l?eau et disparut. Un éclair alors illumina le ciel et un violent coup de tonnerre retentit. «Ma femme va être contente, se dit le vieux pêcheur en prenant le chemin du retour, le joli petit poisson doré va sûrement exaucer son v?u.» Il dut se frotter les yeux pour le croire : là où se dressait le palais aux magnifiques coupoles, il n?y avait plus qu?une pauvre masure en terre battue ! Sa vieille femme, vêtue de guenilles, lavait dans un baquet troué quelques linges déchirés. Elle ne se lamentait pas, elle ne criait pas. Sur son visage ridé coulaient des larmes amères. La vie est ainsi faite : qui veut trop n?a rien.