Désagrément n Toute la rue est incommodée par une fumée épaisse et malodorante qui s'échappe d'un hôtel particulier dont le propriétaire est absent. Paris, le lundi 6 mars 1944. C'est une belle journée, après les froids et le gel de l'hiver. Paris, comme le reste de la France et de l'Europe, subit l'occupation nazie. Mais aujourd'hui, comme pour oublier le malheur qui les frappe, beaucoup de Parisiens sont dehors et cherchent à profiter du soleil. Tous ? Non. A la rue Le Sueur, dans un quartier résidentiel, non loin de la célèbre Place de l'Etoile, les habitants ne respirent pas le bon air printanier mais une odeur nauséabonde qui s'échappe d'une maison cossue, située au 21 de la rue. C'est un hôtel particulier du XIXe siècle, avec une écurie et une cour intérieure. Il a été longtemps abandonné avant d'être racheté par un médecin, mais lui non plus n'y réside pas, se contentant d'y effectuer, de temps à autre des séjours. Toute la rue est incommodée par cette fumée mais les habitants de l'immeuble faisant face à l'hôtel, le sont encore davantage. Certains descendent voir la concierge. — Madame Dupont, vous connaissez bien le propriétaire de l'hôtel ? — Pas spécialement dit la brave femme. — Nous vous avons vue discuter avec lui ! — C'est vrai, il m'a confié la clef de sa maison, mais il l'a reprise il y a quelques jours. — Et vous ne savez pas s'il est chez lui ? — Non... Elle fronce les sourcils. — Que lui voulez-vous au Dr Petiot ? — Vous n'avez donc pas senti cette fumée qui sort de sa cheminée ? — De la fumée... Il a bien le droit d'allumer sa cheminée... — Certes, il a le droit d'allumer sa cheminée, mais pas celui d'empester le quartier ! — S'il a laissé sa cheminée allumée, c'est qu'il va certainement revenir ! — Alors il faudra lui dire d'arrêter cette fumée, l'air devient irrespirable ! L'air est effectivement irrespirable, mais comme l'a dit la concierge, le docteur Petiot, le propriétaire de l'hôtel particulier de la rue Le Sueur, a bien le droit d'allumer sa cheminée et d'y brûler ce qu'il veut. Une dame se demande, cependant. — Mais que peut-il bien brûler dans cette cheminée ? — Du bois, des objets inutiles dont le docteur veut se débarrasser... Des mauvaises langues parlent de choses compromettantes. Tout le monde sait que la guerre touche à sa fin, les Allemands accusant de lourdes pertes. Le docteur s'est sans doute mouillé dans quelques scabreuses affaires et cherche à en supprimer les traces. Mais des papiers, des documents, peuvent-ils générer une fumée aussi épaisse et surtout aussi malodorante ? — Prions le ciel que cela cesse au plus vite ! Mais les heures, puis les jours passent sans que le docteur Petiot donne signe de vie et la fumée et son odeur insupportable sont toujours là ! C'est alors qu'un résident décide de porter plainte au commissariat du quartier. (à suivre...)