La vérité est pour chacun ce qu'il veut qu'elle soit, la réalité aussi... Vérité et réalité vont-elles ensemble ? Vaste débat. Cet homme, par exemple, la trentaine, qui marche gaiement vers son avion, un Beechcraft qui doit coter aux alentours d'un million de francs nouveaux. C'est un jeune châtelain, propriétaire d'importants vignobles dans le Val-de-Loire. Il est fortuné, jeune, élancé, désinvolte. Est-il un beau garçon intelligent, affable, au cœur généreux, ou le même beau garçon, égoïste, arrogant et pétri de conventions bourgeoises ? Nous avons décidé de suivre l'avis de la presse populaire qui, parlant de lui, le décrit comme un garçon parfaitement sympathique. Cette option rend la suite de l'histoire d'autant plus cruelle. Nous sommes dans les années cinquante. L'appareil est un biplan. L'homme, jeune, désinvolte, riche et sympathique, donc, avance d'une démarche souple vers son appareil, saute d'un élan sportif sur l'aile inférieure de son Beechcraft, se cale sur le siège, ajuste sa ceinture et inspecte l'horizon d'un regard bleu clair. Il décolle impeccablement. Un jeune homme si parfait ne saurait s'élever dans le ciel en trébuchant. Il est expérimenté, sûr de lui, son avion est parfaitement entretenu, il vient de subir une révision complète. Tout est parfait, tout est prévu, assuré, garanti, les moyens financiers du pilote le lui permettent. Ce qui rend la suite de l'histoire d'autant plus troublante. Le ciel lui-même est en accord avec le personnage et la quasi-perfection de l'image qu'il présente ce jour-là. Beau temps, tempête de ciel bleu, comme disent les pilotes. Ce qui rend l'affaire encore plus étrange. Du côté du plan de vol, tout est clair, déposé dans les règles, connu de tous. Liaison radio parfaite. Depuis son décollage, le pilote assure tous les contacts d'usage avec les stations survolées et ne signale absolument rien d'anormal. Sa voix est calme. Ce qui rend la suite d'autant plus surprenante. Le surprenant, l'étrange et le troublant surviennent au-dessus du Massif central. C'est là, survolant les anciens volcans de ce massif primaire, rajeuni si l'on peut dire par le contrecoup du plissement alpin, que l'avion tombe à la verticale, comme une masse inerte, dit un journaliste, comme un caillou, dit un autre, en flèche, dit un troisième. L'avion s'écrase au flanc de la montagne, et le pilote est tué sur le coup. Un accident bizarre. Quelque part en Touraine, il est non pas un château, mais une gentilhommière, à deux tours carrées couvertes de glycines. Le mauve sur la pierre grise est d'une rare beauté. La jeune femme qui occupe ce jour-là l'un des salons de cette propriété charmante raccroche le téléphone. L'épouse du jeune pilote qui vient de perdre la vie, est également décrite par les journalistes comme ravissante, jeune, et éperdument amoureuse de son brillant époux. Toute cette perfection, toute cette beauté, tout ce bonheur et cette richesse élégante sont peut-être un peu exagérés par les rapporteurs de l'enquête de l'époque, mais créent un contraste théâtral avec le drame qui vient de survenir. La jeune femme, pâle, a beaucoup pleuré en apprenant la fin tragique de son jeune mari. Ils vivaient là, dans ce paysage enchanteur, dans cette demeure ancestrale, aux murs de pierre rassurants et épais, au milieu des coteaux, de la vigne ondoyante, des grappes mûrissantes et dorées. La famille du défunt possédait le domaine depuis des siècles. Un domaine difficile à gérer. La jeune et ravissante veuve pourra-t-elle assumer seule, désormais, ce lourd patrimoine ?... (à suivre...)