L'index de la main gauche appuyé sur la tempe gauche, celui de la main droite appuyé sur la tempe droite, les deux coudes plantés sur la table, le tout dans un fouillis de cheveux noirs : Mlle Helen Kocer supporte sa migraine chronique en lisant le journal. Soudain, la voici qui sursaute et lève des yeux bleus : la jolie Helen semble réfléchir, le regard dans le vague, puis baisse de nouveau le visage pour relire le même article. Au fait, est-ce un article ? Non, il s'agit de ce que l'on appelle une «publicité rédactionnelle». Nuance. Mais, pour une jeune coiffeuse de vingt-quatre ans, cette nuance ne saute pas aux yeux. Voici le texte de cette publicité rédactionnelle. «La postière Elfried Rehnart, trente-deux ans, paralysée, aveugle et sourde des suites d'une attaque, a recouvré l'ouïe, la vue et la facilité de marcher et de se déplacer tout à fait normalement après seulement dix-sept heures de soins. Des milliers de malades peuvent se remettre à espérer grâce à la «surcompression par air hyperbare». Evidemment, Helen Kocer ne prête aucune attention à cette bizarre construction de phrase qui ne fait qu'aligner les pléonasmes. Elle note simplement que le langage lui paraît technique, concret, sans appel (pour une fois) à la magie ou à quelque pseudoscience métapsychique. Elle lit la suite : «L'Institut de régénération par la thérapie de surcompression a déjà guéri quantité de maux et d'infirmités, de la migraine à l'infarctus en passant par la bronchite chronique et les jambes variqueuses. Pas de médicaments, pas d'interventions chirurgicales simplement quelques séjours soigneusement calculés dans une chambre de surcompression. Comprimé à 4,6 atmosphères, l'oxygène régénère votre sang. Plus il y a d'oxygène dans les vaisseaux sanguins d'un malade, mieux il se porte.» Fin de citation. Suivent les adresses et les numéros de téléphone de l'institut avec lequel Mlle Helen Kocer entre immédiatement en contact pour une effarante aventure. Février 1976, le 9 au matin. La jolie Helen, cheveux toujours noirs, yeux toujours bleus, tailleur de laine fauve et corsage de soie froufroutante, se présente à l'Institut de régénération par la thérapie de surcompression. Une assistante en blouse blanche, souriante et stylée, la reçoit. «Vous connaissez le principe de notre traitement ? — Oui, mademoiselle, j'ai eu le docteur Baumgartner au téléphone. — Parfait ! Combien vous a-t-il prescrit de séances ? — Dix séances de quatre-vingt-dix minutes. — Bien, c'est le traitement standard, cela vous fera 650 marks payables d'avance», conclut «l'infirmière» en blouse blanche. Dix minutes plus tard, sont réunis dans le salon d'attente : Irma Flork, soixante ans, qui éternue sans arrêt, M. Bick, cultivateur, soixante-deux ans, qui souffre comme Mlle Kocer d'épouvantables migraines, Martin Schoesberg, qui marche avec des cannes, etc. En tout vingt personnes. Une musique douce, diffusée par des baffles dissimulés dans les murs, s'arrête lorsque paraît le docteur Baumgartner. Lunettes, cheveux et barbe poivre et sel, chemise rayée bleue, veste élégante, petit foulard autour du cou : gai et sérieux, il inspire confiance. «Permettez-moi, en quelques mots, de vous rappeler le principe de notre traitement : il y a trente ans, le docteur Joseph Boesch, en examinant des plongeurs sous-marins, constatait que leur sang, sous la pression qui règne à une profondeur de quarante mètres, absorbait beaucoup d'oxygène : cet oxygène est généralement trop rare dans le sang des malades.» (à suivre...)