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Histoires vraies
Le piège infernal (3e partie et fin)
Publié dans Info Soir le 12 - 09 - 2005

Résumé de la 2e partie n Marthe surmonte sa peur et appuie sur le bouton du 28e étage. Brusquement tout mouvement s?arrête et le noir s?installe. Un voisin, voyant que l?ascenseur «D» ne fonctionne pas, en emprunte un autre. Marthe, claustrophobe, vit un véritable cauchemar avant de?
Le locataire du 12e étage ne fait pas attention ; il ne peut pas imaginer que le fait d'avoir appelé la cabine D a provoqué quelque chose d'étonnant. Le système électrique est apparemment en folie, car la cabine coincée a un sursaut et se remet à grimper des étages au hasard. Ce bond brutal et la lumière revenue réveillent Mlle Marthe. Ça y est, ça marche ! Elle va sortir ! Sortir ! Mais c'était une fausse joie, à nouveau... l'ascenseur se bloque, à nouveau elle est dans le noir, son c?ur s'emballe et elle perd à nouveau connaissance, entre le 7e et le 8e étages.
22h 15. Quelqu'un appuie encore sur le bouton. Nouveau sursaut, nouvelle grimpette, re-lumière, re-noir et stabilisation entre le 10e et le 11e étages. Le quelqu'un qui appelait du 15e, ne voyant rien venir, change d'ascenseur sans se faire de bile.
22h 30. Mlle Marthe reprend connaissance et tâtonne dans le noir, appuie au hasard sur les boutons et, cette fois, l'ascenseur fou redescend comme un bolide pour aller s'immobiliser entre le 1er et le 2e sous-sols, comme tout à l'heure, et Marthe retombe dans le noir. Pendant une demi-heure, elle essaie tous les boutons, frappe, crie, et résiste, elle ne sait comment, à l?épouvantable peur qui l?empêche de raisonner. La claustrophobie est une vraie névrose qui empêche toute réflexion saine.
A vingt-trois heures, nouveau sursaut, nouvel éclat de lumière. Marthe remonte d'un trait entre le 7e et le 8e étages... puis c'est le noir à nouveau. Elle frappe de plus belle contre la paroi, mais pas de chance : à ces étages, sur dix appartements, deux seulement sont occupés, mais pas ce soir. Elle a beau crier, cogner. Rien. Alors, Marthe se met à pleurer. Assise par terre avec sa boîte d'orchidées.
Elle n'ose plus appuyer sur les boutons à présent, de peur de tomber définitivement et que la cabine se décroche. Elle croit avoir compris que lorsque c'est elle qui appuie sur ces boutons, l'ascenseur descend et se coince au sous-sol, alors que lorsqu'un inconnu appuie sur le bouton d'appel, l'ascenseur monte et se coince n'importe où. Son cerveau électronique est déréglé.
Jusqu'à une heure du matin, l'ascenseur «D» et Mlle Marthe font encore trois voyages. En hauteur, car elle ne touche plus à rien. Elle préfère monter que descendre, cela lui fait moins peur. Mais à chaque fois c'est un nouvel espoir, et elle guette les étages. Si la cabine s'arrêtait par chance devant une porte, elle pourrait sortir, peut-être. Mais tout s'éteint à chaque fois, et à chaque fois elle est coincée entre deux étages. Et à chaque fois elle tambourine, appelle, pleure, et personne ne l'entend. Les gens dorment, les moquettes sont épaisses, les appartements insonorisés. De plus, à cette heure tardive, les gens se font rares. Enfin, c'est la grande nuit. Plus de noctambules, plus de sursauts. Marthe a épuisé toute sa peur, toutes ses larmes. Il est trois heures du matin et la rage la prend. Une rage positive, une rage réfléchie. Pour la première fois depuis plus de cinq heures qu'elle est enfermée là, il lui vient une idée. Une idée bête, et pas logique du tout, mais puisque cette machine est folle, pourquoi pas une idée folle ! A tâtons, toujours dans le noir, Marthe cherche le dernier bouton du bas et le dernier bouton du haut. Peut-être qu'en appuyant en même temps sur les deux, il va se passer quelque chose ? Puisque ça descend quand elle appuie elle, et que ça monte quand quelqu'un d'autre veut descendre, alors... main gauche sur le deuxième sous-sol, main droite sur le 28e, Marthe respire un grand coup, compte jusqu'à trois et appuie ! Il y a une secousse légère, un petit bruit bizarre, et la lumière s'allume, s'éteint, se rallume en clignotant. Marthe appuie toujours sur ses deux boutons, le c?ur battant. Il y a une sorte de ronflement et la cabine démarre, elle monte, elle monte, elle continue de monter, 17, 20, 21, 24, 25, 27, 28 ! Plof ! elle s'arrête devant une porte ! Marthe manque d'en perdre la tête. Si je lâche les boutons, se dit-elle, ça recommence, c'est sûr. Alors, d'un pied, elle tâte la porte, la pousse, et constate que ça s'ouvre. De l'autre pied, elle glisse sa boîte d'orchidées, pour coincer la porte, se contorsionne sans lâcher les boutons, met un pied sur le palier, puis l'autre, toujours bras tendus à quatre-vingt-dix degrés. Un en haut, l'autre en bas. Un coup de rein, un bond et elle est dehors, sur le palier. La boîte d'orchidées glisse lentement, la porte se referme, et vlan ! l'ascenseur redégringole en chute libre jusqu'au sous-sol, et freine de tous ses circuits hydrauliques avec un bruit épouvantable. Il était temps ! Une man?uvre de plus et qui sait ?
A 3h 05 du matin, le 25 octobre 1965, Marthe a sonné à la porte des Courtney, et leur a tendu sa boîte d'orchidées, d'un air hagard, avant de s'évanouir une dernière fois sur leur luxueux paillasson du 28e étage !
Une colonie de cafards, de l'ordre des Orthoptères et du genre Blattides (mauvais genre), avait envahi, dévoré, désorganisé et rendu fou le cerveau électronique qui commandait l'ascenseur «D» du 357 Mighlay Street...
Il n'y a qu'eux pour arrêter le progrès.


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