Dramaturgie n La générale de Langue des mères a été donnée hier au Théâtre national algérien. Le rideau se lève peu à peu sur un monde affecté, assombri, une société dévastée par les prétentions d'un esprit impérialiste. La scène apparaît comme un amas de ruines : un air de désolation y règne rappelant qu'un drame humain a eu lieu ; et dans cet espace sinistré évoluent réciproquement deux personnages, deux mères. La première, en habit noir, couleur de deuil, pleure son malheur. La seconde, habillée en rouge, couleur de sang, affiche son arrogance et son mépris pour l'autre. L'une dit sur l'autre dans une langue des mères, une langue identique à toutes les femmes de toutes les cultures et de toutes les confessions. Point de différence puisqu'elles disent la même chose : la chair de leur chair (leur fils). Toutes les deux sont certes différentes parce qu'elles représentent, chacune, un référent culturel à l'opposé de l'autre, mais elles sont identiques, puisqu'elles sont mères, et chacune a un fils détenu prisonnier dans le camp adverse, ennemi. C'est donc l'histoire de deux mères qui cherchent, chacune par sa raison et ses sentiments, à sauver son fils ; et dans cette confrontation, voire cet échange langagier commun à toutes, elles se rapprochent et finissent par se comprendre. En fait, la pièce raconte, en filigrane, l'actualité irakienne : la mère habillée en noir ( jouée par Rania Sirouti ) représente l'Irak et celle en rouge (jouée par Tounès Aït Ali) incarne l'impérialisme américain. Produite par le Théâtre national, la pièce adaptée du livre d'Alexis Parnis par le dramaturge irakien Mohamed Kacem et mise en scène par Sonia, est dite dans un arabe classique pour porter favorablement la charge émotionnelle et notamment l'intensité dramatique. Ce qui fait que le jeu, et dès les premiers moments de la pièce, apparaît d'emblée souple et aéré tant la performance scénique des comédiennes se révèle authentique et d'un naturel attachant, et dans le dialogue et dans la mise en jeu du corps et des gestes qui, tous, font ressortir cette tragédie humaine qui traverse, d'un bout à l'autre, la pièce. Il la ponctue parfois de violence pour en dégager le destin humain et en faire saisir ses sentiments illustrés par les deux mères. Un destin commun et des sentiments partagés. La scénographie, celle de Hibala El-Boukhari, est là pour mieux illustrer toute cette dramaturgie. Le décor, qui met en relief la présence des comédiennes et définit leur déplacement, canalise toute l'émotion dramatique et, du coup, il l'incarne, la matérialise. Enfin, le jeu, et à mesure que la pièce avance, est accentué par toute l'émotion qui s'en dégage et faisant, du coup, jaillir l'intensité dramatique du texte, prenant ainsi des tournures de plus en plus réalistes. Les sentiments deviennent concrets et le destin humain devient , lui, palpable. Le public, interpellé chacun par cette vision de détresse humaine, ressent toute cette souffrance que crient les deux mères.