Une rencontre au hasard a réuni… au hasard un comédien d'Oran, un autre d'Alger, une jeune actrice tlemcénienne, un scénographe de Bel-Abbès, un auteur de Mostaganem et un metteur en scène de Tlemcen. Une diversité algérienne pour dire les malheurs de l'Algérie et les déboires d'une jeunesse… désespérée. Le Théâtre national algérien a reçu la coopérative El-Afsa (l'astuce) de Tlemcen, pour deux représentations consécutives de la pièce Une rencontre au hasard, mise en scène par Ali Abdoun. C'est en fait, une adaptation signée de l'universitaire Abdelkrim Gheribi, d'après la nouvelle, L'Arbre, du dramaturge polonais, Slawomir Mrozek. Elle a été produite par la coopérative El-Afsa qui a bénéficié d'une aide financière du ministère de la Culture. Une rencontre au hasard résume le temps d'une représentation d'une heure et quart, les déboires d'une jeunesse désemparée face à une société cruelle et un monde en perpétuelle mutation. C'est l'histoire d'un jeune homme, pauvre et sans emploi, qui ne croit plus en rien et perd tout espoir dans la vie. Il décide alors de se suicider. La nature humaine est vraiment très étrange, lorsque l'homme s'installe dans le malheur, il responsabilise toute l'humanité et pense (à tort) qu'il est le seul à être incompris et pas très bien né. Et c'est ce qui est arrivé au jeune pauvre (incarné avec brio par Amine Missoum), qui a décidé de se pendre. Mais une fois sur les lieux, son chemin croise celui d'un homme distingué et raffiné ; un rôle campé par Mourad Khan, la star du petit écran qui s'essaie pour la deuxième fois au théâtre après une première tentative dans Le fleuve détourné de Hamida Aït El-Hadj. L'homme, apparemment un nanti, a également décidé de mettre fin à ses jours. Pour le jeune pauvre, c'est le comble. Comment un homme qui a tout ce qu'il veut dans la vie décide-il d'y renoncer ? L'intelligence du spectateur est sollicitée pour l'élucidation de ce mystère, et ce n'est pas le propos. Après un bref échange entre les deux protagonistes, ils décident de mettre fin à leurs jours, lorsque soudain apparaît une jeune femme, belle et gracieuse, qui fausse quelque peu les projets de nos anti-héros. Dans la deuxième partie du spectacle, les deux hommes se disputeront l'amour de la jeune femme… mais c'est sans compter sur la mort qui planait tout autour des trois personnages. Amine Missoum, de l'association Ibdae El-Djazaïr d'Oran a brillé dans son rôle du jeune pauvre. Il a été d'une justesse exceptionnelle dans un rôle, comique sur les bords, qui lui allait comme un gant, malgré une mauvaise gestion de l'espace et avec un jeu qui est, bien souvent, tombé dans l'exagération. De son côté, Warda Saïm a été juste et très féminine, ce qui change un peu de ses précédents rôles. Quant à Mourad Khan, c'est le point noir du spectacle. En fait, il a freiné le rythme de la pièce par ses trous de mémoire, son sur-jeu et ses problèmes de langue et de diction. Comme à l'accoutumée, la scénographie de Yahia Ben Ammar était magnifique, et le metteur en scène a bien géré ses poulains si ce n'est la mauvaise négociation du rôle de Mourad Khan, qui n'avait manifestement pas les épaules assez larges pour rentrer dans son costard très classe. Les comédiens ballottaient entre l'arabe classique et l'arabe dialectal, ce qui a créé une sorte de décalage. En revanche, le propos de la pièce est pertinent puisqu'elle traite du désespoir ambiant et de l'absurdité générale d'une génération qui n'a plus de repères et qui trouve en la mort ou en l'émigration clandestine, une absolution. Loin du sermon moralisateur et moraliste, la pièce traite de la contradiction qui nous habite et de la quête de l'homme du bonheur absolu. Sans prétention aucune, Une rencontre au hasard est un coup de projecteur sur nos contradictions d'Algériens et un rayon de soleil dans l'océan de la médiocrité. Sara Kharfi