Résumé de la 3e partie n Cette fois, les parents proposent carrément le mouton. Il regarda ses anciens maîtres avec un air de grande tristesse, mais ne fit point de reproche et s'avança vers le soldat. Les bêtes de la ferme n'étaient pas moins indignées, mais les parents avaient une façon de les regarder ou de les interpeller qui leur ôtait l'envie d'intervenir. A un canard qui commençait à élever la voix, ils firent observer en fixant sur lui un regard cruel : — Il y a en ce moment au jardin des navets superbes. De quoi faire une bien belle garniture. Oui, bien belle. Le pauvre canard en fut si gêné tout d'un coup qu'il baissa la tête et s'alla cacher derrière le puits. Seul de tous les animaux, le cheval noir ne se laissa pas intimider et, marchant à son ancien maître, lui dit tranquillement : — Vous ne prétendez tout de même pas courir les chemins en pareil équipage ! Je vous avertis que vous feriez rire de vous, sans compter qu'une monture aussi frêle ne vous mènera pas bien loin. Allons, si vous êtes raisonnable, vous rendrez ce mouton aux deux petites qui pleurent de le voir partir et vous remonterez sur mon dos. Croyez-moi, vous y serez plus à l'aise et vous y aurez meilleure mine aussi. Tenté, le soldat donna un coup d'œil au larges flancs du cheval et parut se convaincre qu'on y était, en effet, plus à l'aise que sur le dos d'un mouton. Le voyant sur le point d'accepter, les parents ne craignirent pas de lui faire observer que le cheval noir leur appartenait. — Nous n'avons pas du tout l'intention de nous en défaire. Vous comprenez, s'il fallait recommencer la série des échanges, nous n'en finirions pas. — Vous avez raison, convint le soldat. Le temps passe et la guerre se fait sans moi. Ce n'est pas ainsi qu'on devient général. Après avoir retroussé sa moustache, il mit son mouton au trot et, les jambes pendantes par-dessus son grand sabre, s'éloigna sans tourner la tête. Quand il eut disparu au tournant du chemin, toutes les bêtes de la ferme se mirent à soupirer de chagrin. Les parents en étaient gênés et leur gêne se changea en inquiétude lorsque Marinette dit à Delphine : — Il me tarde que l'oncle Alfred vienne nous voir. — Moi aussi, fit Delphine. Il faudra qu'il sache tout ce qui s'est passé. Les parents regardaient leurs filles d'un air presque craintif. Un moment, ils se parlèrent à l'oreille et puis dirent tout haut : — Nous n'avons rien à cacher à l'oncle Alfred. Du reste, quand il apprendra que nous avons été assez habiles pour échanger un simple mouton contre un beau cheval noir, il sera le premier à nous complimenter. Dans la cour de la ferme s'éleva, tant des bêtes que des petites, comme un murmure de reproche auquel, avisant l'âne, le mulet, le cochon, les poules, les canards, le chat, les bœufs, les vaches, les veaux, les dindons, les oies et tous autres qui les regardaient, ils répondirent sévèrement : — Allez-vous rester là jusqu'au soir à bayer et à écarquiller les yeux, vous autres ? A vous voir ainsi, on se croirait plutôt sur un champ de foire que dans la cour d'une maison laborieuse. Allons, dispersez-vous et que chacun soit où il doit être. Toi, cheval noir, tu as désormais ta place à l'écurie. Sans plus tarder, nous allons t'y conduire. (à suivre...)