Au mois de janvier 1962, le cadavre d'une commerçante de trente-six ans est découvert, par un dimanche après-midi, dans un bosquet des environs de Hambourg. La police ne relève aucun indice, sinon que la malheureuse a été tuée de quatre balles de revolver : deux tirées à une dizaine de mètres ; deux autres à bout portant, dans la tête. Trois mois plus tard, un jeune homme est également découvert, tué à peu près dans les mêmes conditions : deux balles à distance, trois dans la tête. Quatre mois plus tard, même chose : il s'agit cette fois d'un rentier de cinquante-six ans. Cinq mois encore, et l'assassin inconnu tire sur l'ouvrier Georges Abel, trente-deux ans, qui se promenait à bicyclette. Le malheureux meurt dans l'ambulance sans reprendre connaissance. La police, évidemment, cherche à établir un lien entre ces quatre crimes et n'y parvient pas. Les victimes ne se connaissaient pas, n'appartenaient pas au même milieu social, demeuraient en des lieux assez éloignés. Les seuls points communs paraissent être l'heure à laquelle ils ont été abattus : le samedi, vers quinze heures, et le modus operandi : une ou plusieurs balles tirées de loin et les autres à bout portant, comme des coups de grâce. La conclusion est qu'il s'agit probablement d'un fou criminel. Il tue sans connaître ses victimes, de temps en temps, le samedi à quinze heures, n'importe qui, au hasard, du moment que le lieu et les circonstances lui sont favorables. Un dossier effarant pour le commissaire principal Alfred Glucksman. Il lit ce matin-là les journaux de Hambourg. Et il a beau avoir une tête de bûcheron, des lunettes à monture d'acier et le calme de César, il n'apprécie pas de se faire quotidiennement traiter d'incapable et de fainéant. Il s'en faut de peu que les «journaux» ne l'accusent de fermer les yeux pour quelque raison d'obscure politique : appartenant à l'opposition, il favoriserait une certaine déstabilisation en démontrant l'incapacité du pouvoir... «N'importe quoi», pense le commissaire en repliant calmement les journaux pour les jeter dans la corbeille à papier. Puis il sort d'un tiroir l'énorme dossier sur lequel il se penche plusieurs heures par jour depuis des semaines. Il le connaît par cœur : quatre crimes commis en l'espace d'un an et demi par un fou qui agit les samedis vers quinze heures, selon le même processus. Un seul espoir, l'enquête que mène actuellement son adjoint Fritz. Entrée de Fritz, courbé devant le commissaire principal, qui jette sur lui le regard olympien du consul imperator. «Vous aviez raison, patron. — Bien…» Le commissaire principal a au moins une satisfaction : la presse l'accable, l'opinion publique le prend pour un guignol, mais son personnel est à plat ventre. «Voilà, patron, je résume : Arnaud Nagel est le fils d'un marchand de meubles très estimé. A dix-neuf ans, les 11 et 12 mai 1959, il a comparu devant les assises, accusé d'assassinat. Il s'agissait de la mort d'un écolier de onze ans et le modus operandi est en effet assez proche des quatre derniers crimes : une balle tirée de loin et trois autres dans la tête. Le garçon pratique le tir au revolver, il s'entraîne régulièrement. Mais il s'est défendu en affirmant qu'il avait blessé le malheureux écolier par accident. C'est dans l'affolement, a-t-il expliqué, de peur d'être puni, qu'il a achevé la victime. — Et alors ? — Eh bien, patron, vous verrez dans mon rapport que cette défense était plausible. D'ailleurs, le tribunal, après avoir entendu les témoignages en faveur de l'accusé, dont on ne disait que du bien, a été extrêmement indulgent : condamnation pour «blessures par imprudence avec tentative de meurtre», à quatre ans d'internement dans un établissement pour mineurs délinquants.» (à suivre...)