Une villa superbe, près du Cap, en Afrique du Sud. Une villa d'homme riche, d'homme blanc, avec colonnades, piscine, jardin intérieur, appartements d'hôtes, saIle de billard, salle de gymnastique, salle de cinéma, Everett Crosby en a dessiné les plans lui-même, avant son mariage avec Susan Ashley. Everett, cinquante-six ans ; Susan, vingt-neuf ans. Il est ce que l'on appelle un homme d'affaires. Elle est ce que l'on appelle une jolie fille. Leur mariage a deux ans. Voilà pour la carte postale, vue de l'extérieur jour. Intérieur nuit : Une heure du matin. La gouvernante aIlemande, véritable maîtresse des lieux, est réveillée en sursaut par les cris d'Everett Crosby. De drôles de cris étouffés derrière la porte. Il tambourine : «Réveillez-vous, Greta, bon sang ! Mon Dieu, quelle horreur, mais quelle horreur ! Aidez-moi !» Greta surgit, en chemise de nuit, ses cheveux gris ébouriffés. Le maître est en habit de soirée, rouge et essoufflé : «J'ai surpris un homme dans le couloir, il a filé par là, un diable de Noir. Greta ! il a filé, il a tué Madame ! Appelez la police, occupez-vous d'elle ! Je vais le rattraper ! Je vais l'étrangIer de mes mains ! Je vais l'aplatir, je le ferai brûler vif !» Il court vers les jardins, Greta vers la chambre. Ede entend le moteur de la voiture, puis la voix d'Everett à nouveau : «Mon fusil, Greta ! Donnez-moi mon fusil !» Dans le bureau du maître, un fusil de chasse accroché au mur avec une cartouchière. Greta décroche le tout, court à une porte-fenêtre et tend l'arme. Quelques secondes plus tard, la voiture démarre, et elle pénètre dans la chambre à coucher dont la porte est restée ouverte. Elle comprend pourquoi la chemise d'Everett Crosby était rouge de sang. Susan est allongée sur le sol de marbre cIair, en peignoir. Près d'elle une statuette de bronze. L'assassin a frappé à la tête. Le reste de la chambre est en ordre, le lit défait normalement, comme si la jeune femme venait de se lever. Une lumière douce éclaire la coiffeuse de bois précieux et les parfums alignés. Les fenêtres sont closes, les rideaux tirés. Greta, à genoux devant le corps de sa maîtresse, ferme les yeux devant le visage ensanglanté, les cheveux étalés et poisseux. Elle fixe un moment une main entrouverte, paume en l'air, la main gauche, où bride un diamant énorme, symbole de la richesse du mari. Une pensée traverse son esprit : «Le voleur n'a pas eu le temps, M. Everett a dû le surprendre en rentrant de son dîner d'affaires, et moi qui n'ai rien entendu ! Et le chien qui n'a pas aboyé. Par où est-il passé, ce salopard ?» Greta se relève pour décrocher le téléphone et appeler la police. Ce faisant, elle tourne le dos à l'affreux spectacle. Elle ne veut plus regarder, c'est au-dessus de ses forces. La main a bougé. Imperceptiblement, mais elle a bougé. Greta s'explique avec la police, rapidement. Le nom d'Everett Crosby est connu. Dans quelques minutes ils seront là. Greta sort de la chambre en courant, traverse le couloir et les salons, allume les lampes d'extérieur et appelle : «Balthazar !» BaIthazar est un énorme doberman noir et feu. Il surgit immédiatement, bouscule la gouvernante et pénètre dans la maison comme une flèche. Greta le poursuit en se traitant d'idiote ! Il ne faut pas que l'animal découvre le corps de sa maîtresse. Avec tout ce sang, les réactions de ce genre de chien sont imprévisibles. Vraiment imprévisibles. «BaIthazar !» BaIthazar, le chien, a filé droit dans la chambre. Et, lorsqu'elle y entre à son tour, un grondement l'arrête. Plus question d'approcher. Babines retroussées sur d'énormes dents blanches, BaIthazar défend sa maîtresse, l'œil fixe, couleur d'or, les courtes oreilles dressées, prêt à bondir. Cinquante kilos de muscles puissants et une mâchoire capable d'égorger un homme. (à suivre...)