Chagrin n Ftima avait les yeux rouges et ses pleurs redoublèrent à la vue de sa servante qu'elle prit par le bras. Comme un éclair, l'image de Fehd traversa son cœur, avec sa grande silhouette mince et droite, ses larges épaules, déjà un homme alors qu'il avait à peine dix-huit ans… Fehd, son cousin que Ftima aimait en secret depuis longtemps déjà. Mais bien vite, elle rejeta ce souvenir. C'est une femme mariée à présent, ou presque, et c'est un péché de penser à un autre homme. Au bout d'un long moment, le porteur déposa Ftima devant une porte basse, au fond d'une ruelle. Une des servantes se précipita pour rajuster son voile. Comme par enchantement, la porte s'ouvrit et un groupe de femmes accourut pour accueillir la jeune fiancée. Le cœur de Ftima battait à tout rompre. «Entrez ! Entrez ! Soyez les bienvenues !», dit une vieille femme au teint clair en agitant une main aux doigts ornés de bagues d'argent. Toujours recouverte de son voile, Ftima écarquillait les yeux pour mieux distinguer la silhouette, mais il faisait trop sombre à l'intérieur. A entendre les sons des voix, elle devina que la maison était pleine de femmes et d'enfants. Comme deux gardiennes, ses servantes la tenaient par le bras de chaque côté et la faisaient avancer lentement. Puis elle dut s'arrêter. Une main se glissa sous son voile, le releva légèrement et lui tendit trois dattes. La fillette les prit et les porta à sa bouche. Elle eut du mal à les avaler, car sa gorge était sèche. Puis, on lui passa une petite écuelle contenant un peu de lait de chèvre que Ftima but goulûment. Quand elle rendit l'écuelle, des cris et des rires saluèrent son geste, et elle continua sa marche lente jusqu'à une pièce où on la fit asseoir sur une peau de mouton. Elle entendit la porte se refermer et le bruit s'atténuer. Alors Morjana, la servante qui l'avait vue naître, lui murmura de sa voix gutturale : «N'aie pas peur, lumière de mes yeux, ces gens-là sont bons, je l'ai vu tout de suite à leur joie de te voir…» Elle lui releva le voile, découvrant son visage aux traits fins. Mais Ftima avait les yeux rouges et ses pleurs redoublèrent à la vue de sa servante qu'elle prit par le bras. «Mais tu pleures, mon cœur, par un si beau jour ! Regarde autour de toi, tu es dans la maison d'un homme riche ! Ton mari ! Regarde ces tapis comme ils sont épais ! Et le bois de cette armoire ! C'est ta chambre, mon enfant.» Mais les yeux de Ftima allèrent directement à l'immense couche dressée au fond de la pièce, recouverte d'un drap de soie. Elle eut un haut-le-cœur et redoubla de pleurs. «Morjana, je ne veux pas rester ici, parmi tous ces inconnus. Et puis, j'étouffe dans cette maison ! Je veux retourner chez nous !» «Tu es l'épouse d'un notable, mon cœur. La plus jeune ! Tu seras la préférée. Il vaut mieux vivre dans une telle maison que sous la kheïma où tu es née. Sidi Mohamed, ton père, que Dieu lui accorde une longue vie, est un homme aisé. Mais ici…», et Morjana d'un geste large désigna tout le mobilier de la pièce : «Tu seras une véritable princesse !» Elle essuya les larmes de la fillette, épongea la sueur de son large front et le khôl qui avait coulé sur ses joues. Ftima sembla se calmer et elle se prêta volontiers aux préparatifs des servantes, qui entreprirent de la changer et de la parer. Sa robe de soie jaune d'or faisait ressortir son teint pâle. Une touche de rouge carmin que Lila — l'autre servante, plus jeune que Morjana — retira d'une petite boîte de poudre de fleurs séchées, qu'elle étala délicatement sur ses joues, et de ce fait la transforma complètement et la fit paraître plus âgée qu'elle n'était. La jeune fille, immobile, se laissait faire, oubliant pour un moment sa détresse et sa frayeur. (à suivre ...)