Suspicion n Elle se rend compte effarée qu'il la fixait intensément avec une drôle d'expression dans le regard. «Zineb et Mohamed vont venir ce soir. Je les ai invités à dîner.» Se débarrassant de son manteau, Madjid l'accroche derrière la porte d'entrée. «Cela ne te dérange pas j'espère», reprend-il à l'intention de sa femme. La quarantaine bien entamée, Fatiha est encore une belle femme. Son visage charmant et avenant est illuminé par de beaux cheveux noirs jais, couleur qu'elle tient de sa mère qui, la soixantaine passée, n'a encore que quelques mèches grisonnantes. «Mais non, répond-elle précédant son mari au salon, tu sais à quel point j'aime ces deux-là, Zineb me manque en plus. Cela fait longtemps que je ne l'ai pas vue». Mohamed est un associé et un ami de longue date de Madjid. Zineb, mariée avec lui depuis maintenant trois ans, est devenue une amie de Fatiha. Les deux couples se fréquentent assidûment. Les épouses étant toutes les deux femmes au foyer passent régulièrement des après-midi chez l'une ou chez l'autre. «Tu veux un café ?», demande Fatiha reprenant son ouvrage de couture sur le fauteuil. «Non merci, je dois ressortir dans un petit moment, j'ai un rendez-vous de travail.» Madjid et Mohamed sont associés dans une affaire d'importation d'appareils électroménagers. Regardant son ami avec tendresse, Fatiha lui fait remarquer : «Tu travailles trop, tu devrais te ménager un peu.» Sans rien dire, il se lève et se rend à la salle de bains. Quelques heures plus tard, les deux couples sont réunis dans la salle à manger: «Où sont les enfants ?», demande Zineb. «La petite dort et les deux grandes sont chez ma sœur. C'est l'anniversaire de leur cousin aujourd'hui.» N'ayant pas d'enfant, Zineb voue une affection particulière aux enfants de son amie. Mohamed n'a jamais voulu qu'on mette le sujet sur le tapis. Au cours des deux premières années de mariage, cela la préoccupait, mais depuis une année, elle s'en soucie peu… Arrivée à ce stade de ses pensées, Zineb lève les yeux et regarde Madjid. Détournant immédiatement le regard qui tombe par hasard sur Mohamed, elle se rend compte, effarée, qu'il la fixait intensément avec une drôle d'expression dans le regard.«Zineb,que t'arrive-t-il ?» «Hein ! quoi ?» Eperdue, elle se tourne vers Fatiha : «Je te parle depuis tout à l'heure. Tu ne m'entendais pas ? Tu reviens de très loin, on dirait.» «Mais non, c'est juste que je pensais aux enfants.» «L'anniversaire de Asma est pour bientôt, je crois.» «Tu ferais sûrement une meilleure mère que moi. Asma fêtera ses six ans dans exactement un mois. Je n'y pensais plus du tout.» Zineb pousse un soupir de soulagement : Ouf, elle s'en était bien tirée ! Mais son regard croise, encore une fois, celui de son mari et son trouble reprend de plus belle. «Que se passe-t-il ?», se dit-elle, la gorge nouée par l'angoisse. «Se douterait-il de quelque chose ?» (à suivre...)