Micheline ! Je te présente mon copain Franjié Vukovitch. Il a embarqué avec nous pour notre dernier voyage et on est devenus inséparables. Micheline Formentier accueille le copain de son mari avec un sourire chaleureux : — Les amis de mon mari sont mes amis. Vous êtes ici chez vous. — Franjié est Yougoslave, de Croatie. Tu verras, c'est un gars absolument étonnant ! — J'en suis certaine, mon chéri. Si tu l'invites à la maison, c'est qu'il s'agit de quelqu'un de bien. — Merci beaucoup chère madame. Et excusez-moi de vous envahir. Je voulais trouver une chambre à l'hôtel mais Emmanuel a insisté pour que je vienne loger chez vous pour nos quelques jours d'escale. Emmanuel Formentier est ravi. Avec Micheline il n'y a jamais aucun problème. Elle est toujours d'accord. Il faut dire qu'en quinze ans de mariage ils ont eu le temps de se connaître. L'ami d'Emmanuel est un homme de quarante-cinq ans, sportif, un peu grisonnant, souriant, le regard direct et l'œil bleu vert. Une fois qu'ils se sont installés autour d'un verre, Micheline Formentier en apprend davantage. Emmanuel ne tarit pas d'éloges sur son nouveau collègue : — Tu vois comme il parIe bien le français. Eh bien, figure-toi que Franjié, qui n'est au départ qu'un fils de paysan, l'a appris tout seul. Et non seulement le français mais l'italien, l'allemand et l'espagnol. Pour l'espagnol, c'est plus facile ; il est divorcé et vit à Bilbao avec une Espagnole qui a l'air bien sympathique. Franjié se révèle plus étonnant encore sur d'autres plans : il est passionné par la Renaissance française et pourrait donner des cours magistraux sur ce sujet. Plus fort encore, si l'on peut dire : à l'occasion d'une baignade Micheline découvre que le marin yougoslave possède trois tétons sur la poitrine et un orteil supplémentaire. En rougissant, Franjié explique : — Il paraît que c'est un signe de primitivisme. Nous descendrions de lignées... préhistoriques. Autrefois, on nous aurait brûlés comme sorciers pour ce petit détail. A la fin du séjour chez les Formentier, Franjié propose : — Puisque cet été nous mettons sac à terre en même temps, pourquoi ne viendriez-vous pas chez moi, dans l'île de Rab, en Yougoslavie ? C'est un ravissant village dans le style vénitien. En août, ça vous irait? — Pourquoi pas ? Et c'est ainsi que les Formentier arrivent dans l'île de Rab après un long voyage et un petit trajet en ferry. Franjié et sa sœur attendent le couple français à la descente du bateau. Franjié et Emmanuel se précipitent l'un vers l'autre pour une embrassade chaleureuse. Mais Micheline remarque quelque chose d'étrange dans l'attitude d'Emmanuel. Elle attend un moment pour lui demander discrètement : — Qu'est-ce qui s'est passé ? Quand Franjié t'a ouvert les bras, je t'ai vu nettement reculer, pendant l'espace d'une seconde. Comme si tu avais eu peur ? — Micheline, tu ne vas pas me croire. J'ai eu comme une vision, un flash. Quand Franjié s'est approché de moi, sa tête a disparu et... pendant deux secondes... — Quoi, pendant deux secondes ? — Pendant deux secondes, c'est la Mort qui me parlait. Sa tête a disparu et c'est une tête de mort qui m'a embrassé. (à suivre...)