En 1945, l?un des héros de cette histoire, David Carry, n?est pas encore professeur. Il n?est que médecin et travaille dans les laboratoires de l?université de Californie à Berkeley. Ce grand garçon mince est une sorte de James Stewart, portant lunettes, avec un grand front légèrement bombé au-dessus d?un visage ouvert. Il rayonne de vitalité et d?enthousiasme, d?une sorte d?autorité généreuse. C?est à cette époque qu?il rencontre le principal personnage de cette histoire : Hélène. Il est très important de savoir qu?Hélène est une héroïne hors du commun, un grand caractère de femme, un très beau personnage au sens propre comme au sens figuré. C?est une fille de 1,75m, blonde aux yeux clairs, une des plus belles femmes des Etats-Unis, dira-t-on, à laquelle le docteur David Carry fait aussitôt une cour ardente. Mais cette cour n?est pas uniquement inspirée par un attrait physique. David a eu la joie de découvrir qu?Hélène est une femme très cultivée, d?une intelligence très au-dessus de la moyenne, et d?une grande sensibilité.Malheureusement, Hélène, épouse d?un officier de l?armée des Etats-Unis, alors en service à l?étranger, a une petite fille de trois ans et des principes très stricts, hérités d?une éducation plutôt sévère, et ce détail est tout à fait essentiel. Face à cette droiture, il y a l?intelligence généreuse et l?enthousiasme du docteur David Carry. Tout de suite, Hélène porte un intérêt passionné aux recherches du docteur. Bref, le coup de foudre est réciproque. Mais il y a un hic. Un jour, le docteur l?invite à déguster une merveilleuse langouste chez Scoma?s sur le ravissant port de plaisance de San Fransisco. Et le plus simplement du monde lui déclare : «Hélène, je vous aime.» Ce à quoi elle répond tout aussi simplement : «Moi aussi.» Elle le regarde en souriant avec tendresse. Tout, dans cette femme, est d?une éblouissante clarté, on pourrait même dire d?une merveilleuse solidité. David ressent, à la voir, la même impression que devant une des ces belles églises romanes de campagne qui dégagent tant de sérénité en ne cachant rien de la simplicité de leur plan. Elles sont rassurantes parce qu?elles sont sans secret, sans tricherie. On voit d?un seul regard tous les aspects de leur harmonieuse, mais inébranlable architecture. Ainsi parle Hélène : «Moi aussi je vous aime, David. Mais vous devez savoir que jamais je ne serai à vous. Je ne peux pas tromper mon mari. Je ne saurais lui mentir. Je ne peux pas y consentir, David. Ce serait abaisser et compromettre cet amour.» Belle tirade en vérité, mais il y a encore un hic. La morale est une chose, la passion en est une autre. Hélène sent bien que le moment approche où elle ne pourra plus résister à l?attrait qu?exerce le docteur David Carry. Elle décide donc de divorcer. Avec les étonnantes facilités que la loi américaine donne aux femmes désireuses de retrouver leur liberté, elle pourrait, sans peine, découvrir un moyen d?obtenir le jugement de divorce à son avantage. Mais non. Là encore elle révèle son horreur des compromissions. ? Que reprochez-vous à votre mari ? demande le juge? Aucun grief ne figure dans votre dossier. ? Je n?expose aucun grief dans mon dossier parce que je n?ai rien à reprocher à mon mari. ? Si vous n?avez rien à lui reprocher, pourquoi voulez-vous divorcer ? ? Parce que je ne l?aime pas et que j?aime un autre homme». Le juge, étonné de tant de franchise, consulte l?avocat : «Maître, dit-il, nous apprécions la franchise de votre cliente, mais elle ne facilite pas la tâche du tribunal. Peut-être pourriez-vous m?aider ? ? Le reproche que ma cliente passe sous silence coule de source, Votre Honneur : elle reproche à son mari de ne pas avoir su se faire aimer d?elle.» Le juge fait la moue : «C?est bien mince comme argument. C?est en tout cas insuffisant pour que le jugement soit prononcé aux torts du mari. Et dans ces conditions, madame, je ne vois pas comment je pourrais lui retirer la garde de votre petite fille.» Hélène ne proteste pas. Elle aime son enfant sans doute, mais elle ne croit pas devoir exiger qu?on la retire à un père auquel elle n?a rien à reprocher. Tout ceci est parfait. Mais il y a un troisième hic. Apparemment tout cela importe peu à Hélène, très amoureuse, et à David devenu le professeur David Carry. Donc, ils devraient être au comble du bonheur. Hélas ! il leur faut vite déchanter. La calme et souriante créature qu?Hélène a été jusque-là devient, du jour où elle s?appelle Mme Carry, un être tourmenté, rongé par d?inexplicables crises de désespoir, et en proie à une neurasthénie chronique. (à suivre...)