La lourde porte de la chambre de Saïd fait un désagréable grincement avant de s?ouvrir, l?infirmière, une femme voilée et mince, à la frimousse pâlichonne, accède à l?humide et hostile pièce, le corps cachectique de Saïd, complètement rongé par la maladie, semble disparaître dans les draps usés de son lit. Ses yeux noirs, immensément tristes, semblent contempler une dernière fois le plafond de la chambre. Encore un autre mort durant cette nuit froide de l?hiver à l?hôpital El-Kettar, une autre victime du sida. Le pauvre quadragénaire a dû terriblement souffrir, agoniser longtemps avant de mourir seul, comme un quelconque criminel. Quelques larmes sont restées coincées dans le creux de ses joues. Marié depuis quelques années, cet ancien émigré a regagné son pays et s?est installé définitivement en Algérie et épousé Salma, une jeune femme originaire de la même région que lui, qui lui a donné trois enfants. Quelque temps plus tard, ressentant un malaise, Saïd consulte un généraliste, celui-ci lui demande de procéder à des prélèvements sanguins afin de déterminer l?origine de son mal. Hasardeux, le bilan s?avère fatidique : Saïd a le sida, le virus a longtemps sommeillé dans son corps avant de se manifester ce jour-là. Il l?a même transmis à sa femme et à ses enfants ! Saïd pourtant n?a jamais trompé sa femme, il l?adore et n?a jamais eu des relations extraconjugales. Il est resté fidèle, le médecin, en revanche, affirme qu?il a eu la maladie par voie sexuelle. Ce n?est que là qu?il ressasse son passé et comprend qu?il a «importé» avec lui le virus. Ce sont ces aventures d?une nuit sans lendemain, qu?il a vécues durant ses années de jeunesse et d?errance à Paris, avant son retour en Algérie. Hospitalisé à El-Kettar, il sera abandonné par sa famille, sa femme Salma est venue le voir 2 fois seulement et s?est juste contentée de le coiffer et de lui changer ses vêtements, pour disparaître de nouveau sans retour. Les interminables nuits de solitude se succèdent, Saïd refuse toujours de prendre son traitement. Rongé par le remords, la culpabilité et l?abandon, il se laisse mourir, refusant même de se laver, de manger ou de parler. Souvent lorsque les médecins pénétraient dans sa chambre pour le soigner, il détournait le visage en larmes, il pleurait sans cesse et s?est muré dans un mutisme effroyable. Seul, il a vécu deux mois de supplice et de torture morale et physique. L?infirmière enveloppe le cadavre famélique du patient dans des draps usés, un autre malade qui sera enterré comme un inconnu. Seuls les oiseaux migrateurs viendront de temps à autre becqueter sur sa tombe.