Souffrances n La patiente, rongée par le cancer, n?est plus que l?ombre d?elle-même. Ce 4 décembre 1949, Archibald Borotto, Américain, grand négociant en huile à Manchester, téléphone à l?hôpital où sa femme, Elizabeth, est hospitalisée depuis plusieurs mois. ? Le docteur Sanders, demande-t-il. ? Veuillez patienter une minute, dit l?infirmière. Quelques instants après, le négociant entend la voix familière du médecin. ? Ma femme ?? dit l?homme. ? Elle souffre toujours, dit le médecin. Il y a un silence, puis le médecin reprend : ? Je vous l?ai dit, monsieur Borotto, il n?y a plus d?espoir. Chaque jour, chaque heure, chaque minute qui passe est pour elle une souffrance. Hélas, nous ne pouvons rien faire? Même les piqûres de morphine n?ont qu?un effet limité sur elle. Le docteur a quelques mots d?encouragement pour le mari de la malheureuse, puis il pose le téléphone. L?infirmière, Elizabeth Rose, qui a écouté l?échange, regarde le médecin. ? Mademoiselle Elizabeth, je plains beaucoup ce pauvre homme, mais je me devais de lui dire la vérité ! ? Sa femme est donc perdue, docteur ? ? Oui, mademoiselle Elizabeth. Il regarde sa montre. ? Voilà une heure que je lui ai fait une piqûre, il est temps de lui en faire une autre. L?infirmière le suit jusqu?à la chambre où se trouve la malade. Mme Borotto, étendue sur son lit, aussi blanche que le drap qui la couvre à mi-corps, geint doucement, à moitié inconsciente. A cinquante-neuf ans, elle en paraît quatre-vingts : son visage décharné pointe des pommettes osseuses, ses yeux semblent s?enfoncer dans ses orbites creuses, ses mains squelettiques agrippent le drap, s?y accrochant désespérément comme pour atténuer la douleur insupportable qui tord son pauvre corps. ? Pauvre femme, dit l?infirmière qui a pourtant assisté à l?agonie de dizaines de malades, il n?y a rien que l?on puisse faire pour elle ? ? Non, dit le médecin. Espérons que cette piqûre va la soulager. Il prend une seringue et s?approche de la malade. L?infirmière se rappellera qu?il n?y a mis aucun produit. Doucement, il allonge le bras gauche, puis plonge l?aiguille dans la veine. L?infirmière s?étonne que le médecin n?ait pas stérilisé la seringue, comme cela se fait habituellement, mais sur l?heure, elle va oublier ce détail. En effet, le corps de Mme Borotto se contracte, les doigts se mettent à trembler, serrant encore plus fort le drap. Les yeux s?ouvrent, s?éclairant soudain d?une étrange lueur : mais cette lueur s?éteint aussitôt et les doigts, parcourus d?un long frémissement, se relâchent. ? C?est fini, dit le docteur Sanders, cette pauvre femme a, enfin, cessé de souffrir. Je vais annoncer la nouvelle à son mari. (à suivre...)