Portrait n Rendre clean tout un quartier n'est pas une mince affaire : un éboueur doit, chaque jour, faire face aux ordures, mais aussi à des actes «orduriers». Bien plus que le poids de la vie et de ses vicissitudes, Mohamed R., le front comme sorti d'un bassin houiller, est obligé chaque jour de soulever les ordures d'autrui. La soixantaine dispersée entre une jeunesse passée à Tablat à la cueillette des olives et des années passées dans la combinaison verte de Monsieur Propreté à Alger, il collectionne à ce jour, vingt-cinq ans de labeur, le nez habitué à toutes les senteurs, et, plus préoccupant encore, une vue qui diminue et une hernie qui vient juste de se déclarer. «De toute façon, rares sont les éboueurs qui n'iront pas à la retraite avec une hernie», dit-il comme pour se consoler. «Maâlich, maâlich !», ce soupir de résignation l'escorte depuis des années comme le font son râteau, ses pelles, ses gants, ses bottes et sa… fiche de paie. Impudiquement proféré à chaque virée nocturne, le mot zebel lui colle à la peau, un peu comme les vaccins qu'il prend périodiquement. «Je l'ai entendu des milliers de fois et c'est devenu tout à fait normal. Je travaille bien dans le z'bel, non ?», dit-il sur un ton de sagesse. Cette sagesse lui a, sans doute, permis d'éviter des échauffourées avec des jeunes qui demandaient du calme, lors du passage du camion la nuit en le traitant de tous les noms, sauf de celui d'agent de la propreté. Elle lui a, surtout, épargné des crises de nerfs qu'il pouvait aisément attraper ou une surdose d'adrénaline, franchement nuisible pour son ulcère, en recevant sur sa calvitie un gros sachet noir, bourré d'immondices, jeté exprès du cinquième ou du sixième étage. «Les gens le font souvent ! En voyant arriver le camion, ils jettent tout par le balcon de peur de ne pas arriver à temps en descendant l'escalier.» A la veille de la retraite, un homme doit tenir. Mohamed le fait de son mieux dans cet immense Bab El-Oued, où les niches d'ordures sont pleines à craquer, ramenant cafards, moustiques et autres bestioles en masse. Le travail commence à 21h. Sans arrêt, la benne tasseuse broie tout sauf le carton. «Nous le récupérons dans le camion mais pas dans la benne car, à la longue, il peut esquinter la machine», explique Abdelhakim Berbes, chef de la section Netcom de Bab el-Oued.