Le colonel Delmas, dans les premières années du XXe siècle, s'intéressa beaucoup à l'hypnose. Les travaux et les études du professeur Charcot, les découvertes de Freud concernant la vie et la sexualité féminine l'amènent à étudier de près le phénomène hypnotique. Il en devient le fervent utilisateur et n'hésite pas à expliquer ses expérimentations à ses amis : — Vous prenez un sujet, homme, femme ou enfant. Vous lui demandez de s'installer confortablement et de se détendre au maximum. Puis vous mettez devant ses yeux un objet, de préférence brillant. Tenez, comme ma montre en or, et vous lui demandez de fixer intensément cette masse luisante qui se balance. Pour mieux faire comprendre la technique, le colonel Delmas invite Madeline Daremont, une jeune fille de l'assistance, à se prêter au jeu. Elle prend place sur un fauteuil confortable qui lui permettra éventuellement de s'endormir en toute quiétude. Delmas commence à balancer sa grosse montre de gousset devant les yeux de la jeune fille. Il parle lentement, d'une voix sourde. — Vous êtes bien, vous êtes reposée... Vous regardez la montre qui se balance. Vous ne pensez à rien... Les phrases arrivent, très calmes, comme un murmure. La jeune fille fixe la grosse montre brillante. Ses yeux se ferment peu à peu... Delmas continue à lui suggérer le sommeil : — Vos yeux se ferment, vous êtes bien, vous êtes détendue. Vous ne pensez à rien. Rien qu'à ce disque lumineux qui se balance devant vos yeux... Madeline, vous allez dormir, dormir très profondément. Et vous ne vous réveillerez que quand je dirai le mot... «abricot». Pourquoi «abricot» ? Sans doute parce que c'est la saison de ces beaux fruits dorés. Il y en a une coupe pleine sur la table... La jeune fille ferme enfin complètement les yeux. Sa tête bascule en arrière et se repose sur l'appuie-tête du fauteuil. Elle semble complètement endormie et sa respiration est régulière. Delmas continue : — Madeline, vous m'entendez ? A présent, vous dormez tranquillement. Vous allez rechercher au fond de vous-même les raisons qui font que vous ne supportez pas les chats... L'assistance s'étonne : — Elle ne supporte pas les chats ? Comme c'est triste ! Mais, au fond, c'est assez courant. Elle est peut-être allergique au poil de chat... Delmas continue, doucement : — Madeline, vous allez remonter dans le temps. Vous allez essayer de revivre tous les moments où vous avez eu peur d'un chat... Madeline semble toujours dormir. Soudain, elle fait un geste de répulsion. Delmas demande : — Madeline, vous êtes en présence d'un chat ? Madeline répond d'une voix effrayée : — Oui, la méchante bête ! Chassez-la, elle veut me faire du mal ! Elle veut me griffer ! La voix de Madeline est étrange. Ce n'est plus la voix d'une jeune fille de vingt-deux ans : c'est la voix un peu haut perchée d'une fillette. Sur le fauteuil, toujours profondément endormie, Madeline serre convulsivement ses jupes autour de ses genoux. Elle fait mine de remonter ses jambes sur le fauteuil, de les éloigner du sol, comme si un vilain matou essayait de se frotter contre ses petites bottines à boutons. Delmas continue : — Madeline. Ce chat vous a-t-il griffée ? — Non, mais j'ai eu peur. La vilaine bête. C'est le chat des voisins, les Dumirail. Je le déteste et il me déteste aussi. — Quel âge avez-vous, Madeline ? Madeline, toujours avec une voix de petite fille répond : — J'ai sept ans et demi. (à suivre...)