Trois jeunes tolba avaient décidé de se retirer dans un ermitage, sur la colline, pour s'y adonner à l'étude des livres sacrés, à la prière et à la méditation afin de perfectionner leur science, d'affiner leur âme et de se préparer ainsi à la vie religieuse à laquelle ils entendaient se consacrer. Une simple maisonnette surplombant un vallon rustique et ensoleillé, une terrasse de terre battue à l'ombre légère de quelques oliviers et d'un jujubier, des murs blancs, quelques nattes, un canoun, une gargoulette, c'était tout ce qui était suffisant à nos trois étudiants maîtres pour vivre et réaliser leur projet. Les coutumes locales de soutien des tolba par la population des campagnes qui leur confiait l'éducation et l'instruction religieuse des jeunes enfants, assuraient le concours matériel indispensable à leur nourriture d'ailleurs ascétique. On sait que les tolba ont l'habitude, chaque fois qu'un enfant a retenu définitivement cinq versets du Coran, de dessiner sur son ardoise, à la craie de couleur, une fleur. L'enfant présente fièrement à la famille son «louah» orné du dessin du maître. Et les parents le récompensent en lui donnant, selon leurs possibilités, quelques fruits, des légumes, une poignée de dattes ou de figues, une mesure de semoule, ou des œufs que l'enfant va partager avec son maître au cours d'un repas dont il est l'invité. Si l'on joint à ces dons réguliers ceux des prémisses des saisons, on comprend que de jeunes étudiants religieux puissent arriver à organiser ainsi, dans la simplicité et le recueillement, leur stage de retraite et d'initiation à leur futur enseignement. Une chose cependant reste très rare dans ce mode de vie, c'est la viande, car les fellahs sont en général très pauvres et peuvent difficilement faire un don de cette nature. C'est pourquoi nos trois étudiants avaient décidé, une fois par mois, de se payer un gigot pour savourer, ce jour-là, cette viande que tout Arabe aime tant en souvenir sans doute des millénaires pendant lesquels les ancêtres étaient un peuple de pasteurs. Inutile de préciser que c'était le jour attendu de fête mensuelle. Or, le soir d'un de ces jours exceptionnels, les trois tolba venaient d'acheter un superbe gigot et de le mettre à la marmite — déjà le parfum du bouillon embaumait toute la pièce lorsqu'on frappa à la porte. C'était un vieillard qui paraissait harassé et demandait l'hospitalité. Des tolba ne sauraient refuser d'ouvrir à l'«invité de Dieu» (dhaïf Allah). Ils le firent donc entrer, lui offrirent une tasse de thé. L'heure de la prière de l'«acha» arrivait. L'homme fit sa prière. Le bouillon continuait à exhaler ses effluves. Les trois tolba se regardèrent, un peu gênés, souhaitant au fond d'eux-mêmes que leur voyageur reprit sa route et les laissât déguster leur gigot entre eux. Mais il n'était pas question de départ pour le voyageur qui paraissait affamé : Alors le trio de jeunes gens se retira sur la terrasse pour prendre le frais : «Vraiment pas de chance ! dit le premier taleb. — Nous sommes obligés de l'inviter, dit le troisième taleb, et nous serons forcés de partager. — J'ai une solution, dit le deuxième taleb. Je vais le faire participer au paiement du gigot. Mais il n'y goûtera pas... — Comment feras-tu ? questionnèrent les autres. (à suivre...)