Bonheur Tout est nouveau pour elle : le petit port de pêche où les barques, le soir venu, s?alignent le long du quai? Quand Nadia Guermouh arrive à Mechroha, dans la région de Souk-Ahras, chez son oncle Nacer qui habite El-Kala, pour s?occuper du ménage en attendant le rétablissement de sa femme en couches, elle est loin de s?imaginer que son destin va se jouer, implacable. Cette fille simple, mince et jolie comme un c?ur, âgée d?à peine dix-sept ans, illettrée et la tête imbue de feuilletons égyptiens, est tout de suite captivée par tout ce qui l?entoure. Quand elle promène ses deux cousins à travers les ruelles de la petite ville, son sourire émerveillé ne la quitte pas. Tout est nouveau pour elle : le petit port de pêche où les barques, le soir venu, s?alignent le long du quai, mollement balancées par les vagues, la grande plage qu?elle longe avec les enfants en marchant les pieds dans l?eau, et la mer surtout, qu?elle voit pour la première fois. Nadia est si heureuse de sa chance que les durs travaux du ménage lui semblent légers, en attendant le soir, l?heure de la promenade quotidienne avec impatience. Son éternel sourire et sa gentillesse lui attirent la sympathie des voisins. Au bout de quinze jours seulement, elle connaît déjà une bonne partie de son entourage, dont Salem, un jeune homme de vingt-cinq ans, qui habite le bâtiment en face du sien. Dès les premiers jours, il remarque la jeune fille qui arpente fièrement la rue, tenant ses deux petits cousins par la main. Il est tout de suite attiré par son air naïf et, quand elle passe à sa hauteur dans sa robe bleue à petites fleurs blanches, visiblement coupée à la maison, et ses sandales noires ornées d?une petite grappe de raisin en caoutchouc, il lance à ses copains : «Mais d?où nous vient donc cette beauté ?» C?est ainsi que les choses commencent entre Nadia et Salem. Lui, s?enhardissant à l?accoster et à la couvrir d?éloges sur sa beauté, elle, subjuguée par son visage aux traits fins, sa haute taille, ses cheveux noirs et bouclés. Et dans le c?ur de Nadia, l?amour de Salem, irrésistible, va changer le cours de sa vie. L?esprit ailleurs, elle remplit ses tâches sans s?en rendre compte, s?arrêtant en plein ouvrage pour aller jeter de fréquents coups d??il par la fenêtre, vers le bâtiment d?en face, dans l?espoir de voir Salem. «A qui fais-tu des signes, Nadia», lui demande un jour la femme de son oncle de son ton traînard. ? Mais à mon amie Leïla qui habite en face de nous, ma tante», dit-elle en rougissant brusquement et en retournant à la cuisine. Mais la tante n?est pas dupe. Et au bout de quelques jours, elle découvre le pot aux roses. Aussitôt, elle prévient son mari, aggravant la situation, si bien que Nadia ressent un terrible sentiment de culpabilité, alors qu?en réalité, elle n?a rien à se reprocher. Son oncle, qui a vécu une grande partie de sa vie en Italie, a l?esprit ouvert et s?exclame : «Mais voyons, Safia, elle est jeune, c?est tout à fait normal !» «Et s?il lui arrivait quelque chose? Elle est sous notre responsabilité, n?oublie pas, et elle est si jeune encore ! D?ailleurs, si ce jeune homme la veut, qu?il vienne demander sa main, tout simplement !» Désormais, Nadia doit jouer de ruse pour rencontrer Salem et échanger quelques mots avec lui dans un coin de bâtiment, l??il aux aguets, de peur que sa tante ou son oncle ne la voient. «Reste encore un peu, Nadia», la presse Salem. «Non, je dois rentrer j?ai dit à ma tante que j?ai oublié ma monnaie chez l?épicier..., à demain je te ferai signe par la fenêtre !?» Elle se sauve en coup de vent et disparaît dans l?immeuble. (à suivre...)