«Si par chance vous avez toutes les cartes d'identité des gens d'ici entre vos mains, vous allez vous rendre compte que les 48 wilayas ont toutes des représentants, sans compter évidemment la 49e», s'amuse à dire en guise de prologue Mokhtar, venu comme beaucoup d'autres de Chellalat La'adaoura. Cette 49e wilaya devient alors notre obsession ! pour y aller, il faut marcher vingt minutes à pied. Une éternité en voiture. Plein de masures en terre glaise et en tôle rabibochée se dressent sur un îlot reculé. Des taxis à profusion s'agglutinent dans tous les sens dans un parking improvisé et devant la porte d'une baraque, un bébé d'à peine trois ans, la morve au nez, dorlote avec ses lèvres la tétine du biberon. Avec sa main maigrichonne, il tente, énervé, de chasser un essaim de mouches, qui bourdonne autour de lui. Les petites bottes noyées dans la boue pèsent des kilos. Sa culotte et ses langes autant. A peine commence-t-il à hurler qu'une jeune fille tout en haillons sort de la baraque et le prend par le buste comme une grosse pastèque avant de fermer la porte avec une telle violence que nous avons, un instant, cru que la bicoque allait s'effondrer. Beni A'das, Beni Hendel ou Beni Hadjres ? On ne parie pas un bouton d'une chemise pour une «généalogie» inconnue à l'état civil. Dans les méandres de l'inconnu, notre hasardeuse expédition aurait pu aller plus loin si l'on n'avait pas commis l'erreur de refuser un café… Le monde des «guezzanate» (diseuses de bonne aventure), celles qu'on soupçonne d'être venues de derrière les frontières tunisiennes, fait franchement peur. Construites cahin-caha, leurs baraques donnent, on ne sait pourquoi, l'impression d'être un puzzle d'amulettes. Un lieu où, pour un intrus, s'entremêlent deux «phobies» : celle d'être supprimé par le poison ou alors celle de ne plus revenir chez soi, la vie définitivement bouleversée par une alliance au doigt.