A partir d'aujourd'hui, nous proposons à nos lecteurs une série de reportages réalisés dans quelques bidonvilles de la capitale, de Blida et de Tizi Ouzou. Notre objectif est de toucher de plus près le vécu de ces Algériens qui vivent en même temps si près et si loin de nous. Vécu n Haï Remli, ancienne carrière de sable et de tuiles qui jouxtait une grande briqueterie, aujourd'hui à l'arrêt, est un mégabidonville où le mot relogement ne fait pas partie du vocabulaire. Et pourtant le commerce des baraques foisonne. «Ah… vous êtes de Maginot ! alors c'est vous qui badigeonnez les ânes pour leur donner l'allure de chevaux et les revendez ensuite, la nuit, au prix fort ?» Le quidam à qui nous avons demandé son origine s'esclaffe. Son visage fermé est maintenant plus détendu qu'il ne l'était auparavant. Ebahi, il nous demande comment nous avons pu croire à cette histoire qui, sortie on ne sait d'où, colle, comme une deuxième peau, à son douar natal de Chellalat La'adaoura, dans la wilaya de Médéa. Test réussi ! Car s'il existe des gens qui vivent pour inventer des histoires, nous, nous avons dépoussiéré celle-là pour pouvoir vivre «un jour» à Haï Er-Remli… huit mille baraques, zéro assainissement, une sale réputation de bordel à ciel ouvert et beaucoup d'anecdotes… Allant de l'usine Biotic, à la sortie sud de Gué de Constantine, jusqu'à la Prise d'eau, située juste sur la rive gauche de l'oued El-Harrach, il est la plus grande favela d'Alger. Ici, posséder sa propre hutte n'est pas une mince affaire. Non seulement, il faut trouver de l'espace mais il faut surtout être «accepté». A cause du terrorisme, beaucoup de gens, venus de l'intérieur du pays, dans un exode forcé, ont atterri ici. Mais le terrorisme n'explique pas tout. Un extrait : «Moi ce n'est pas le terrorisme qui m'a fait venir ici. C'est le pain !», explose Rabie, un père de famille de 35 ans, les deux tiers de sa vie, dispersés au gré de vaines pérégrinations. Son «pays» où l'on fait toute une gymnastique sans arriver toutefois à avoir ce pain tant désiré, est un coin perdu à Bir Ghbalou dans la wilaya de Bouira. Aujourd'hui, c'est chez les grossistes de Semmar, là où on ne ferme boutique que lorsque l'on soupçonne l'arrivée des gars du fisc, que Rabie troque sa frêle musculature. Comme lui, beaucoup de jeunes du bidonville font la rude besogne de «hemala» (porteurs), à raison de 500 DA pour un camion à charger ou à décharger. Une peine nettement sous-estimée au regard du danger qui les guette, eux, qui travaillent sans la moindre protection sociale, mais qui disent être mieux que les «autres» : ces pillards qui, une fois leur forfait accompli, disparaissent tels des félins dans la brousse. Ce travail de porteur, Rabie ne le souhaite pas à ses quatre bambins qui vont tous à l'école. «J'ai peiné dans ma vie et je peinerai jusqu'au dernier souffle. Je ne voudrais pas que mes enfants connaissent le même sort que moi», dira-t-il, la gorge nouée. Son objectif lointain, une maison avec jardin. Dans l'immédiat, une carte Chiffa pour avoir de la Ventoline. Nés dans un taudis, deux de ses enfants font, fréquemment, des crises d'asthme, une pathologie qui, selon un membre du comité de quartier, fait beaucoup de ravages.