Je me souviens d'une succession... C'est un notaire de nos correspondants qui m'appelle. Il s'agit de faire l'inventaire après le décès d'un personnage fort connu – appartenant à une grande famille, elle aussi fort connue –, occupant jusque-là une position sociale, morale et culturelle supérieure à la moyenne. Bref, cet homme illustre représentait pour tout le monde le symbole même de la droiture, de la morale, et ses mœurs étaient extrêmement rigoristes. Je dois faire l'inventaire de son hôtel particulier, gui est ravissant. Je suis reçu par sa veuve, telle qu'on en faisait encore il y a quelques années : robe noire et longs voiles de crêpe. Dans le hall d'entrée de l'hôtel, on peut admirer quelques objets, souvenirs marquant les différentes étapes de la vie de notre héros. Les tableaux accrochés aux murs sont magnifiques. Accompagné de l'épouse encore éplorée, je parcours tous les étages. Nous dressons l'inventaire dans les règles et, une fois cette longue opération terminée, nous redescendons l'escalier de marbre agrémenté d'un profond tapis de laine. Une fois dans le hall, j'avise une porte que je n'avais pas remarquée dans la pénombre : «A quoi correspond cette porte ? – Il s'agit simplement du bureau personnel de mon époux. Il contient sa bibliothèque privée. C'est sans importance. — Pardonnez-moi mais cette bibliothèque, toute privée qu'elle soit, entre dans la succession. Je dois en faire l'inventaire.» La veuve pousse un soupir et ouvre la porte du bureau. A l'intérieur, sur des rayonnages multiples, une superbe collection d'ouvrages très bien reliés. Style cossu et bourgeois. Rien de particulièrement intime dans cette pièce... Je commence à examiner les livres qui ornent les étagères. Je note au fur et à mesure. Mais derrière la première rangée de bouquins, il s'en trouve une seconde. Là, le ton change : la seconde rangée est exclusivement composée d'œuvres indécentes... Il y a aussi parfois des chefs-d'œuvre du genre, mais ce n'était pas le cas. Le plus drôle c'est que, d'entre les pages de ces ouvrages «olé-olé», on voit soudain s'échapper toute une ribambelle de photos d'amateur. Il s'agit de photos de parties galantes et, au milieu des participants, on reconnaît parfaitement, parmi ces nudités anonymes, notre défunt héros dans le plus simple appareil... Découvrant la face cachée de son époux, la veuve éplorée s'écroula évanouie au milieu de ses voiles. Elle n'avait pas supporté la révélation de cet enfer personnel, qu'elle ne soupçonnait pas. Mais je dois reconnaître que la bibliothèque était composée en majorité de livres de qualité et, eux, tout à fait convenables.