Il nous a quittés, en laissant chez sa famille et ses proches, l'amer regret de ne l'avoir pas tellement assisté, même s'il a été constamment entouré, aimé et chéri. N'est-il pas pénible de rédiger un papier, sous forme de thrène, à la hâte, après le décès d'un intime, plus qu'un parent, avec lequel j'ai eu des liens de respect et de considération? Oui, c'est très pénible, surtout quand le défunt se trouve être un proche et un ami et, de surcroît, une âme sincère, qui croyait en ce qu'il faisait et en ce qu'il accomplissait comme charge, tous les jours, pour voir sourire les autres. C'est d'autant plus pénible et contraignant quand il faut aller jusqu'aux détails pour revisiter la carrière d'un homme connu pour sa générosité de coeur, un homme qui marchait dans la voie droite et qui, jusqu'à son trépas, tenait à vivre dans la vertu et la noblesse. C'est vrai, sa disparition est triste et cruelle, mais grâce à Dieu, et malgré toute la peine et la consternation qu'elle engendre, nous trouvons, aujourd'hui, nous, sa petite famille et l'autre... grande famille, ses collègues de la presse et du mouvement associatif, beaucoup de consolation et de compassion, car nous sommes convaincus de ce qui peut nous apaiser et nous réconforter: «la fin de Mouloud ne passe pas inaperçue...» En effet, sa disparition n'est pas anonyme, non pas parce qu'il a été un homme public, mais parce qu'il était présent, partout, par son altruisme et sa bonhomie, par son allant et sa faconde, par son activité et notamment par ses recherches dans le cadre de la vérité, enfin par la voix de sa nature profonde et du fait de la pureté de son intention. Aujourd'hui, nous sommes tristes, comme le sont sa mère, son épouse et ses enfants. Mais, lui-même, en bon croyant, s'il pouvait s'exprimer, ne dira-t-il pas à sa mère, en la voyant affligée, accablée par tant de chagrin et de souffrance, ce que disait le poète Abou Firas El-Hamdani, de sa prison à sa génitrice: «Ô mère, ne renonce pas au mérite; il est considérable pour la belle patience»? Et s'il pouvait encore s'exprimer, ne conseillera-t-il pas à ses enfants de ne pas pleurer sa disparition, parce qu'en fait il n'a jamais disparu, selon le bel adage des gens du Moyen-Orient: «Celui qui produit ne meurt pas!»? Oui, Mouloud a produit...Une bonne production. Elle est là pour témoigner de son caractère de battant. Car, indépendamment de ses enfants, une progéniture élevée dans les bonnes traditions de chez nous, de ces familles qui privilégient l'honnêteté sur tout autre vertu et qui font revivre l'âme du noble patriotisme pour voir s'affermir le bonheur et la grandeur, il laisse des souvenirs inoubliables, souvenirs qui racontent des missions aussi nobles, nécessaires que périlleuses. C'est à travers ce passé - sa disparition nous impose une autre forme de conjugaison -, que nous pouvons regarder dans l'âme de son être et dans ses attitudes les plus apparentes. Et là, nous découvrirons que ce jeune, plein de fougue et d'entrain pendant les années soixante-dix, avait choisi la médecine pour contribuer, à sa façon, à conquérir l'objet de ses voeux. Il passa trois années à la fac, espérant terminer dans la branche et servir son pays dont le besoin était énorme en personnel médical. Mais, son esprit de jeune actif, bouillonnant et toujours affairé, ne lui donnait guère de répit pour ne chasser qu'un seul lièvre. C'était le temps du triptyque révolutionnaire sous feu le président Houari Boumediène. C'était le temps de la révolution agraire et du volontariat des CUV. Ça «piaillait de partout» et ça «bougeait», perfidement, sournoisement, à un certain niveau de la hiérarchie du pouvoir, pendant que les jeunes comme Mouloud, et nous tous, croyions fermement en ce «changement radical» de la société algérienne. C'est dans cette atmosphère de participation tous azimuts qu'il s'était trouvé une autre occupation, plutôt une autre passion, le théâtre, pour sortir des sentiers battus. Un jour, je me rappelle l'avoir reçu dans mon bureau à El Asnam - j'étais jeune commissaire national du parti -, pendant son voyage pour Mostaganem. Il était accompagné d'une troupe de jeunes artistes. - Que vas-tu faire à Mostaganem? - Vois-tu, cousin, je dirige une troupe théâtrale, «Noudjoum el Ghad», et nous allons participer au Festival de théâtre amateur. - Et ta médecine, qu'en fais-tu? - Eh bien, j'aurai assez de temps pour la terminer...Sinon, ce que je fais présentement, est aussi important que la médecine. Ne vois-tu pas que le théâtre est une thérapie d'une autre facture et qu'on peut, à travers ce moyen d'expression, contribuer à la formation, à la mobilisation et, pourquoi pas, au soulagement de ceux qui en ont le plus besoin? Là, j'ai compris qu'il était beaucoup plus passionné par la culture et la philanthropie que par la médecine proprement dite. En effet, quelque temps après, il déclara ouvertement ses ambitions et ses préférences, et bifurqua vers ses choix culturel, social et médiatique, au grand dam de ses parents qui voulaient en faire un médecin. De retour à Alger, des années après mes missions à El Asnam et à Bouira, je l'ai retrouvé, dans sa plénitude, responsable auprès du ministère de la Jeunesse et des Sports, chargé de la jeunesse démunie et de l'autre jeunesse, plus difficile, la jeunesse délinquante. Une mission fort délicate! J'ai apprécié en lui la fougue et la conviction avec lesquelles il manipulait ce dossier explosif, pour le moins que l'on puisse dire. Mais le connaissant brûlant de volonté, je savais qu'il allait mener cette mission tambour battant, au moment où d'aucuns faisaient tout pour s'en débarrasser, arguant du fait qu'elle tenait du domaine de l'impossible. Mouloud aimait l'aventure et, de ce fait, il est allé au charbon. Une tête de bélier, un homme de choc, je le voyais ainsi...D'ailleurs, des années après, quand le destin a voulu que je prenne ce secteur, j'ai trouvé de bonnes traces qui m'ont beaucoup servi dans mes programmes de restructuration et d'animation de la jeunesse. Mouloud ne désemparait pas. Il était là où l'activité le montrait plus agissant, quelquefois plus agressif. Il manifestait le dégoût le plus profond à l'oisiveté. Le journalisme le taraudait. Il aimait cette profession en qui il voyait l'aventure peut-être, mais surtout un apport plus conséquent, en ce siècle où les factions s'affrontent dans le champ clos de la gloire et du succès. Il voulait lutter consciemment dans les voies de la civilisation et de la prospérité. Mais du journalisme, il avait déjà quelques rudiments, disons quelques bonnes graines, car il «flirtait» avec la presse et les gens de la presse, depuis fort longtemps. Je me rappelle l'avoir souvent rencontré dans les salles de rédaction, dans les années soixante-dix, quand «il faisait des piges» pour le peu de journaux et magazines qui existaient en ce temps-là. Il le faisait par amour, mais aussi pour avoir son argent de poche, lorsqu'il était à l'université. Petit à petit, Mouloud prenait du poids, et de plus en plus, le journal l'accaparait, se saisissait de lui, l'envahissait, l'absorbait et le soustrayait à sa famille, à ses enfants. Les événements qui se bousculaient dans le pays, et ailleurs, à une certaine vitesse, l'ont poussé à entreprendre de grandes missions dans les domaines du journalisme et de l'aide humanitaire. Que l'on se souvienne de ses grands reportages en plein coeur de Bagdad, sous le feu des bombardements des troupes coalisées. Que l'on se souvienne de ses autres randonnées, au Liban, pendant les sempiternels conflits entre les factions locales et contre l'armée d'Israël au sud du pays. Que l'on se souvienne également de ses allers-retours au Nord du Mali, en 2003, pour l'aide humanitaire, sous les auspices du Croissant-Rouge algérien. Enfin que l'on se souvienne, qu'en pleine crise nationale, dans notre pays, il n'a pas hésité à tenter dans la presse écrite et filmée certains reportages montrant la nature et les causes de cette crise qui nous frappait de plein fouet. Nonobstant tout ce travail et toutes ces missions à l'intérieur comme à l'extérieur du pays, des missions qu'il accomplissait avec zèle et toujours avec célérité, au détriment de sa famille, de ses amis et de son repos, il s'octroyait ce désir de faire gagner les combattants de la guerre de libération, en dignité. Il pensait toujours à ceux-là, à ceux qui souffraient d'une certaine culture de l'amnésie, me disait-il au cours de nos discussions à bâtons rompus, tout en leur faisant admettre qu'il n'y eut entre eux ni inférieurs, ni supérieurs, mais qu'une seule distinction, celle découlant de leurs actions, et une seule supériorité, celle de l'intelligence et du savoir. A travers cette action, très patriotique, son intérêt pour l'Histoire était grandissant. D'ailleurs, ces derniers temps, avant que la maladie n'ait eu raison de lui, il se trouvait constamment avec les moudjahidine, surtout les vétérans de la lutte de Libération, ou dans les salles d'archives, celles se trouvant de l'autre côté de la Méditerranée, en train de fouiner dans le passé de notre pays, pour ramener le maximum de faits inédits et de témoignages devant lui servir d'écrits de bonne facture. Mais aujourd'hui Mouloud est parti. Quid de ce travail, accompli depuis des années? A-t-il été consigné et déposé quelque part pour servir de témoignage demain? Dieu seul le sait. En tout cas, le connaissant perspicace et aimant profondément l'Algérie, il a dû faire son travail consciemment, calmement, de la même manière qu'il est parti, pour rejoindre le Seigneur, en ce saint vendredi du12 décembre de l'année 2008. Mouloud est parti, et sa conscience détendue, comme tous les bons croyants qui sont convaincus qu'ils ne peuvent s'éterniser en ce monde. Il a rendu son âme à son Créateur. Ainsi, il nous a quittés, en laissant chez sa famille et ses proches, l'amer regret de ne l'avoir pas tellement assisté, même s'il a été constamment entouré, aimé et chéri, surtout en ses moments difficiles où il luttait contre la maladie, stoïquement, en bon croyant pour qui le destin devait s'accomplir avec la volonté de Dieu. Et dans ces instants, douloureux, je l'avoue, quand on se remémore un tel Homme - que j'écris avec une majuscule -, affable, courtois, probe et propre, plus d'un regard d'amis, de collègues et de proches est embué de larmes. C'est la nature de l'être humain, dont «l'âme est joyeuse de grandir, mais c'est pour la diminution, c'est pour la mort, que grandit tout ce qui est capable de croissance», disait Abou El ‘Atahiya, poète sous le calife abbasside El Mahdi. Dors en paix, mon frère Mouloud, tu as laissé une famille, la tienne, mais tu as laissé également une autre, représentée en tes amis, tes collègues....Tu as laissé de la matière, de la bonne matière, un bel héritage pour la génération qui vient et qui te lira et appréciera ce que tu as fait pour ce pays que tu as tant aimé. Adieu!