Fléau Serait-il incommode de dire que la drogue coule dans les veines des Algériens ? Spécialistes et experts se sont donné deux jours à El-Aurassi pour disséquer la situation et apporter surtout des solutions. Un gramme de cocaïne pèse aussi lourd sur la balance qu?un kilo de kif ou un camion bourré de psychotropes. Les trois détruisent l?individu, désarçonnent la société et désarticulent l?économie. Mais ceux qui en profitent sont si obnubilés par les «vertus» de la drogue qu?ils refusent de se laisser emporter par le discours moralisateur des uns, larmoyant des autres. Une question s?impose dès lors : que vaut réellement un colloque national sur la lutte contre la toxicomanie avec la présence d?experts si l?on continue de marmonner à profusion les mêmes constats : «danger», «lutte implacable», «prévention», «saisie» pour ne citer que les quolibets qui donnent une impression de déjà-vu, de déjà-entendu, des années durant, dans les salons feutrés ? A El-Aurassi, on reprend les mêmes et on recommence. Représentants de ministères, des corps constitués, juristes, pychologues et psychiatres, médecins, personne ne manquait à l?appel lancé par l?Office national de lutte contre la drogue et la toxicomanie. Du déjà-vu ? La preuve par les statistiques : les 6,322 tonnes de résine de cannabis saisies en 2002 ne sont pas très loin de la moisson de 2001 ou de celle de 2000, respectivement 4,8 et 5,9 tonnes et les 2 300 affaires traitées et les quelque 3 500 personnes impliquées nous forcent à un éreintant exercice de mémoire. Un exercice qui, sitôt achevé, nous impose un implacable constat d?impuissance et nous force, bon gré mal gré, à reconnaître que l?Algérie, avec ses milliers de drogués recensés chaque jour, ses centres de cure de désintoxication pleins comme un ?uf, ses longues frontières perméables et ses lois scélérates, n?est plus aujourd?hui un pays de transit, mais un pays de grande consommation. Si les intervenants ont tous admis que la lutte implacable et la prévention doivent impérativement marcher côte à côte, ils ont aussi estimé que la nature de la sanction pénale est arrivée à ses limites. «Il faut réadapter les lois aux données actuelles et c?est de cette manière que nous pourrons mener une guerre contre la toxicomanie», estime Mohamed Zekri, commissaire principal au niveau de la police scientifique de Chateauneuf. Sa vision n?est d?ailleurs pas très différente de celle de Lakhdari, juriste et représentant du ministère de la Justice. Celui-ci avoue que «l?arsenal juridique en matière de lutte doit être revu» tout en refusant d?évoquer le terme de «dépénalisation». Qui selon ses termes ne veut dire rien d?autre que «décriminalisation». S?il y a des adeptes de la lutte qui ont pu étayer leurs dires, arguments et statistiques effarants à l?appui, il y avait aussi ceux qui étaient plus portés sur «l?injonction thérapeutique» comme c?est le cas du professeur Mohamed-Salah Laïdli du CHU de Bab El-Oued ou de Ridouh du centre de cure de désintoxication. Ces deux derniers n?ont d?ailleurs pas omis de relever la dichotomie victime-coupable qui constitue un véritable cas de conscience. L?aveu d?Ouyahia Dans une lettre adressée au colloque national sur la politique nationale de prévention et de lutte contre la drogue qui s?est ouvert hier à l?hôtel El-Aurassi, le Chef du gouvernement, Ahmed Ouyahia, a reconnu que l?Algérie est devenue un pays de consommation des drogues, après avoir été, des années durant, une zone de transit. Pour le Chef du gouvernement, si ce fléau a pris de l?ampleur, c?est à cause de l?échec scolaire, de la pauvreté et du chômage qui ont augmenté de manière sensible ces dernières années.