Proximité n Compte tenu de la courte distance qui sépare l'Oranie de l'Espagne, toutes les traversées clandestines à partir du pays ne peuvent se faire, à l'évidence, qu'à partir de ce bout de côte. Pour avoir une idée, même vague, de la topographie de la région, il faut se dire que par beau temps, par exemple, on arrive à voir, à partir du front de mer d'Oran, les premières lumières d'Alicante, que les avions d'Air Algérie desservent en 40 minutes, soit 15 de moins qu'entre Alger et Oran. Bien entendu, plus on avance vers le Maroc, plus cette distance se réduit. Pour illustration, une ville du royaume chérifien n'est qu'à 16 km des côtes ibériques. Il y a une vingtaine d'années, les pêcheurs espagnols venaient jeter leurs filets jusque dans nos eaux. Il leur suffisait de mettre le cap vers le Sud. Les pouvoirs publics y mettront plus tard de l'ordre et nos gardes-côtes arraisonneront plus d'une embarcation. Cette digression était nécessaire pour montrer le degré de proximité entre les deux rives. Il n'y a donc rien d'étonnant de voir que la plupart des candidats à la «hadda», (traversée clandestine vers l'Europe) arrivent de toutes les régions du pays pour tenter leur chance à partir de la côte oranaise. Ils se déversent par dizaines, le long des rivages ou des petits ports, par petits groupes discrets, presque anonymes. Leur prospection va généralement de la baie d'Arzew et les criques sauvages de Aïn Fanine, aux plages de Aïn Turck, Bousfer, El-Matagh et, bien sûr, jusqu'aux Andalouses. Il n'y a pas un seul abri de pêche ou un village côtier qui n'ait pas ses rabatteurs, ses revendeurs d'accessoires et même ses guides. Certains pêcheurs qui ne paient pas de mine, ont pourtant piloté avec succès ces «boat people». Ils ne s'en vantent pas. Bien au contraire. Et préfèrent même éviter le sujet. Si vous voulez prendre la température de ce qui se passe le long des côtes en matière de «harga», le petite hameau de Aïn El-Kerma à quatre kilomètres de Cap Blanc est un peu le centre «nerveux» où tout se sait et se colporte. Les jeunes ici ne vivent en effet qu'au rythme de cette «hadda», ils n'ont que ça à la bouche. Le village s'est depuis longtemps vidé. Il y a comme une fatalité qui pèse sur lui. Tout y est bloqué, y compris les mentalités. Pas de logements, pas de travail, pas d'usines, pas de loisirs, sinon un cyber. Le taux de chômage est l'un des plus forts de l'Oranie. Alors que reste-t-il aux jeunes à part le «cabas» ou la «harba» (la fuite). Les plus chanceux arrivent à se faire recruter comme saisonniers ou jardiniers dans les vergers, les autres planifient à longueur d'année, évasion sur évasion et se tiennent au courant des préparatifs qui vont permettre à tel groupe de prendre le large… Face aux rondes incessantes des gardes-côtes – qui ont tout de même sauvé des centaines de jeunes d'une mort certaine ces deux dernières années – certains émigrants ont changé carrément de stratégie, optant désormais pour des plages inconnues et des sites inaccessibles qui ne figurent même pas sur les cartes, comme à Achacha du côté de Mostaganem...