Le phénomène de l'immigration clandestine ne cesse d'amplifier, malgré les mesures en vigueur pour l'endiguer. Selon une étude de la Gendarmerie nationale, qui reprend les statistiques relatives aux activités de ses unités dans le cadre de la lutte, le phénomène a atteint des proportions alarmantes. L'étude remonte aux sources de cette hasardeuse aventure, dresse les profils des clandestins, les itinéraires et les modes opératoires des filières. Le choix de l'Algérie par les candidats est motivé par le facteur géographique. La proximité du pays avec l'Afrique, le Sahel, grand pourvoyeur de clandestins, et l'Europe, avec une bande frontalière particulièrement immense et une porte maritime, font augmenter les chances de traversée. Si les conditions socioéconomiques et les conflits sont les principales raisons qui poussent les jeunes à tenter l'aventure, l'Algérie demeure un des rares pays de la région à traiter convenablement les clandestins arrêtés. Toutefois, note l'étude, l'accélération du phénomène risque d'induire des difficultés pour le pays, surtout qu'il est établi qu'il a des liens avec d'autres formes de criminalité comme le trafic de drogue, de fausse monnaie et de documents ainsi que la contrebande. Cela d'autant qu'il est appelé à persister compte tenu des déséquilibres économiques entre le Nord et le Sud. Le renforcement du dispositif de la gendarmerie a donné ses fruits tant le nombre d'affaires traitées a baissé de 2%, mais le nombre de personnes arrêtées n'a pas cessé d'augmenter. La trouvaille de la voie maritime, côtes est et ouest, a encouragé les potentiels immigrants clandestins à se concentrer sur l'Algérie. En 2007, dans 1 550 affaires, 6 988 étrangers ont été arrêtés. Soit une hausse de 2% en termes d'affaires, mais 13% de plus en termes de nombre d'étrangers appréhendés, par rapport à 2006. Outre les villes de l'extrême Sud, première étape des clandestins africains, les villes côtières de l'Oranie et de l'Est en sont particulièrement affectées. Oran, Tlemcen, Aïn Témouchent, Annaba et El-Tarf sont les destinations prisées. Elles offrent l'avantage des courtes distances des côtes espagnoles et italiennes. Même Alger n'a pas échappé, à un moindre degré, à la ruée de ces étrangers en transit. Et ça continue. Au 1er trimestre de l'année en cours, la GN a traité 547 affaires et interpellé 2 379 étrangers en situation irrégulière. Soit une hausse de 20% par rapport à la même période de l'année précédente (457). Mais le nombre d'interpellés a diminué sensiblement, 2 094, soit 74%. Il a été relevé que des étrangers sont impliqués dans divers trafics. Depuis la mise en place du dispositif espagnol de surveillance suite aux incidents de Mellila, les clandestins ont changé d'itinéraire, passant par le Sénégal pour atteindre les îles Canaries, traversée qui connaît sont lot de morts noyés en raison surtout de la vétusté des embarcations utilisées. Par ailleurs, la crise économique au Maroc a poussé des fournées de travailleurs à venir clandestinement en Algérie. Ils sont particulièrement dans le bâtiment, maçons, plâtriers et même des travailleurs agricoles. En 2007, 624 Marocains ont été arrêtés. Depuis 1996, les Marocains ont représenté 8% des étrangers irréguliers en Algérie. Des étrangers d'autres nationalités, n'ayant pas pu rejoindre l'Europe, ont opté pour l'installation et le travail (au noir) en Algérie. Les candidats africains à l'immigration clandestine suivent initialement les mêmes itinéraires avant de se retrouver à Assamakha, ville nigérienne frontalière de l'Algérie. Là, ils sont pris en charge par des passeurs qui les ramènent soit à Aïn Guezzam ou jusqu'à Tamanrasset. Ceux en provenance du Mali sont ramenés à Tinzaouatine, puis Tamanrasset. Du sud vers le nord Ensuite, c'est la traversée du pays, du Sud vers le Nord, via In-Salah, Ghardaïa avant d'arriver à Oran et Tlemcen. Des réseaux de passeurs se chargent, là aussi, d'acheminer les clandestins vers le Maroc rejoindre l'Espagne via les deux enclaves, Mellila et Ceuta. Pour les partants à destination d'Italie, ils atterrissent à Djanet et sont acheminés en Libye pour tenter de rejoindre le pays de la Botte. Toutefois, si le phénomène se limitait au transit concernant l'Algérie, les risques seraient minimes. Nombre de clandestins dissuadés par les dispositifs européens durcis sont tentés de s'installer en Algérie. Chose qui, à terme, comporte des risques. En effet, le risque de transmission de maladies comme le sida n'est pas à écarter — Tamanrasset comme le montrent les chiffres est la plus touchée par le sida —, la présence massive de clandestins risque également de provoquer un déséquilibre de la population. En plus de la contrebande, des trafics en tous genres, la proximité du Sahel, grand marché de trafic d'armes et de munitions, comporte un sérieux danger sécuritaire. Surtout depuis l'alliance entre les contrebandiers et les groupes terroristes. L'immigration par voie maritime s'est davantage aggravée malgré les risques et tous les accidents ayant entraîné la mort en haute mer. Le renforcement des dispositifs de surveillance des côtes n'a pas dissuadé pour autant les candidats. L'étude a dressé le profil ainsi que le mode opératoire, avec observation et suggestions pour venir à bout du phénomène. Pour les chiffres, en 2007, la GN a traité 114 affaires et interpellé 2 055 individus dont 1 071 nationaux. Le phénomène — désormais consacré harraga — a connu une hausse de 50% de 2006 à 2007. Au 1er trimestre 2008, 100 personnes ont été interpellées dans 12 affaires traitées. Soit une hausse de 300% en termes d'affaires et 669 % en termes d'arrestations. Le mode opératoire des harragas est simple. Huit à dix individus, d'une moyenne d'âge de 19 à 40 ans, se regroupent, cotisent pour l'achat d'une embarcation, dont le prix se situe dans une fourchette de 400 000 à 800 000 DA, que leur procure un passeur. Avec option boussole de navigation et GPS pour leur indiquer les points de débarquement. Les GPS saisis par les autorités espagnoles et italiennes sur les harragas indiquent tous Gabo de Gâta (Almeria) et Cap Rosa (Sardaigne). La première est distante de 94 km de Aïn Témouchent et la seconde de 130 km de Annaba. Les harragas mettent entre 6 et 10h de traversée pour atteindre les côtes espagnoles et 12 à 15h pour rejoindre les côtes italiennes. Une fois les préparatifs terminés, les candidats sont emmenés de nuit dans un endroit choisi préalablement pour l'embarquement. Avec l'expérience dans le traitement de ces affaires ainsi que le travail de renseignement, la GN a découvert l'existence de filières spécialisées dans “ce commerce” de clandestins. Selon des estimations, les “passeurs” prélèvent entre 3 000 et 5 000 euros par personne. Des propriétaires de chalutier, notamment espagnols sont complices du trafic de clandestins qu'ils aident moyennant une commission allant de 100 000 à 180 000 DA. Le profil du “harrag” n'est pas complètement cerné tant il a changé et évolué. Il peut être un homme, âgé entre 19 et 40 ans, chômeur et sans niveau d'instruction. Désormais, ces paramètres ne sont plus valables même si une majorité de clandestins répond à ce profil. Peut-être une femme. On y trouve des jeunes, âgés entre 16 et 18 ans. Des universitaires et des fonctionnaires. Ils peuvent venir de toutes les régions du pays. Ils peuvent également être des étrangers. L'étude recommande, enfin, pour lutter efficacement contre ce phénomène, le renforcement du dispositif juridique par l'introduction de sévères sanctions contre les réseaux de passeurs, le recensement des embarcations et le contrôle de leurs achats et ventes. La sensibilisation, à travers des campagnes comme les journées organisées par la GN, implication des associations afin de sensibiliser les jeunes et l'opinion publique. Cela, en plus du renforcement des dispositifs, notamment la surveillance aérienne de la GN et des gardes-côtes. Djilali B.