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La contrebande et la drogue gangrènent la frontière ouest
Avec les unités des Gf contre les réseaux mafieux
Publié dans Liberté le 28 - 01 - 2008

Être hallab, hallaba au pluriel, c'est un métier à échelons qu'on gravit doucement. C'est un projet comme un dossier Ansej auquel s'adonnent les jeunes de Maghnia. Hallaba, mode d'emploi : l'école sinistrée ne menant nulle part dans la conception des enfants qui, souvent, quittent vite ses bancs.
Le premier rêve est d'avoir son propre âne, ses jerricans pour “traire”, comme font les adultes oisifs et quelques fonctionnaires aux fins de mois aiguës. Le projet est donc de quitter l'école, se procurer un âne, faire le jerrican avec, au bout du rêve, la consécration, une R25, comme ultime investissement, pour traire les pompes des stations d'essence. Mais si les voitures prennent d'assaut toute source de mazout et sillonnent inlassablement et à grande vitesse les routes jusqu'aux pistes frontalières, les ânes comme leurs conducteurs n'apparaissent que le soir. Toute une faune hante les nuits de la frontière algéro-marocaine. Toute sorte de trafic y est. À la moindre faute, des balles peuvent siffler ou les menottes et la prison. Côté algérien, la peur s'est installée, le flux a rétréci, mais il en reste encore. En l'absence de perspective dans cette zone, où la construction a remplacé le manque d'investissement économique, l'oisiveté a produit l'intelligence pratique, le système D dans lequel excelle la population pour faire passer des produits de l'autre côté et satisfaire la demande locale de produits de là-bas, juste en face, juste à côté où de somptueuses villas ont poussé comme des champignons.
Les m'khaznia veillent au grain, taxent toute marchandise et passage, y compris les immigrants clandestins qui sont comptés par tête comme des animaux. Chaque tête est taxée à 80 dirhams au passage. Les vigiles marocains adorent “ce sport” aux ressources inépuisables puisque les mêmes têtes seront refoulées, souvent avec d'autres, en Algérie, qui tentent de repartir, et ainsi de suite. Au suivant !
Quand un trafiquant ou contrebandier réussit à tromper la vigilance des GGF, il y a un autre rideau qu'il doit encore franchir. Les unités de gendarmerie relevant du groupement de Tlemcen font, de leur côté, obstacle à ces phénomènes à travers des barrages fixes, des patrouilles incessantes que le premier responsable du groupement inspecte régulièrement. Les éléments de ces unités sont derrière toutes les saisies hors périmètre frontalier.
“Mouqatila”, le 4x4 des trafiquants
La nuit, il y a un engin roulant sur quatre roues, aveugle et qui n'a peur d'aucune piste. Localement, on l'appelle Mouqatila. C'est une voiture nue, inutilisable, en panne dans son aspect. Carrosserie approximative et portant plusieurs marques de coups, les feux cassés, pas de numéro, ni de châssis ni d'immatriculation et aucun document, évidemment. Seuls le moteur, l'accélérateur et les freins marchent. Conduite généralement par un fou furieux, cette voiture est comme un char d'assaut qui écrase tout sur son passage. Animal métallique, elle ne roule que de nuit, traversant la frontière, empruntant de sinueuses et abruptes pistes. Elle défie même les tout-terrains des gardes frontières. Au cas où le chauffeur serait coincé, il l'abandonne et se “tire” à pied. Les barrages fixes ne lui font pas peur, il défonce tout sur son passage, à grande vitesse. Son activité principale est le trafic de drogue. Ainsi équipé, le trafiquant limite les risques de se faire prendre. Les trafiquants de voitures utilisent souvent les mêmes pistes et procédés. Il aura fallu une course-poursuite sur piste et des balles pour immobiliser un Scenic volé qui a franchi la frontière au début de la semaine. Le chauffeur a réussi à prendre la fuite et rebrousser chemin vers le Maroc.
80 dirhams une tête de clandestin
L'immigration clandestine, ce concentré de détresse humaine, est transformée en enjeu politique et en objet de “trafic” très lucratif. En cette période, l'oued de Maghnia où les clandestins se réunissent est presque vide. Quelques-uns sont encore là dans des abris de fortune, mais une majorité a quitté les lieux. Quand il y a du travail, ils s'occupent pour ramasser de quoi payer les multiples “péages” et passeurs pour franchir les quelques kilomètres qui les séparent de l'Espagne. Mais ils ne sont pas au bout de leur peine, à peine le sol marocain foulé. Ils sont taxés par tête par le premier m'khazni qui est à quelques mètres de la frontière. Et sans garantie d'arriver à destination. Une fois au Maroc, ils sont souvent vite repérés, parqués, délestés de leur argent et refoulés comme un troupeau vers Maghnia même si certains d'entre eux n'ont pas transité par l'Algérie. Pour chaque “tête” refoulée, le Maroc est gratifié d'une subvention. En cette période, on a dû les encourager à passer de l'autre côté. Ils seront “capturés”, recensés et renvoyés vers Maghnia par contingents. Aucune crainte. Ils ont appris qu'en Algérie, ils ne risquent ni d'être passés à tabac ni détroussés. Avec option de trouver probablement un travail et ramasser de quoi tenter retourner là-bas. Les gardes marocains maîtrisent parfaitement ce sport rémunérateur.
Il y a en plus des Subsahariens, des clandestins d'un autre genre : les Syriens qui se sont spécialisés dans le forage. Tous les forages illicites dans la région de Maghnia sont leur œuvre. La répression de cette activité illégale, les amendes infligées ont fini par les dissuader de continuer d'exercer, du moins au grand jour. La pression les a poussés à chercher un autre terrain au Maroc.
Il semble qu'ils l'aient trouvé. Le transfert de leur matériel suit le même itinéraire que celui de la contrebande. Ils passent les foreuses d'abord, s'installent et reviennent alors s'approvisionner en Algérie en accessoires, nécessaires et consommables. Ils ont commencé depuis un moment à trouer le sol marocain, du côté d'Oujda, Ahfir…
Depuis peu, des Marocains directement touchés par l'impact du durcissement du dispositif des GGF se sont mis à franchir la frontière en quête d'un travail en Algérie. Plusieurs parmi ceux qui ont été arrêtés avouent être venus chercher du travail. Une minorité continue néanmoins de faire les passeurs de drogue pour le compte de barons souvent couverts par le makhzen et ses relais. Les petites frappes, les chômeurs condamnés sont alors envoyés au “front” livrer la “camelote” au risque de se faire canarder. Les barons font tout pour trouver des marchés et les approvisionner, cela d'autant que les terres cultivées ont été étendues et la production a augmenté.
Et ceux censés combattre le trafic se chargent de le gérer et d'en tirer profit, une part du gâteau. Et sous prétexte de le combattre, ils ont décidé d'ouvrir une piste longeant l'oued, limite naturelle mais pas officielle de la frontière. Par endroits, la piste empiète sur des terres appartenant à des Algériens. Situation qui a failli dégénérer en conflit. Ce fait accompli vise certainement à remettre en cause l'accord sur le tracé frontalier, imposer un autre, mais c'est derrière cette tentative de coup de force que se cachent tous les trafics et la contrebande. Trois moteurs, 5 boîtes de vitesses, 2 070 litres de gasoil, 3 600 autres litres dans des jerricans, c'est un bilan partiel d'une seule nuit de travail. Cela juste pour illustrer l'ampleur du phénomène avec la bénédiction des gardes frontières marocains. Bab El Assa. Les maisons sont bâties à proximité de l'oued et accessibles par des pistes fermées par des barrières. Les pistes continuent et débouchent en majorité sur les postes de gardes marocains. Impossible qu'un contrebandier ou trafiquant de kif passe sans se faire prendre. De fait, les postes de surveillance deviennent des passages payants. Les m'khazni prélèvent une taxe (douanière ?) sur chaque passeur, selon la marchandise et la provenance. La lutte ne se fait alors que d'un seul côté. Jusqu'à quand ?
De nouvelles pistes sont régulièrement creusées sur les flancs des collines. Difficiles d'accès, mais elles aboutissent toutes au Maroc, passant évidemment à proximité d'un poste de surveillance. On parle même de l'existence d'un tunnel, reliant les deux pays, creusé par les trafiquants de drogue. Le passeur marocain qui s'aventure à pied et qui court de grands risques n'encaisse que 20 dirhams le passage.
Les harragas à la conquête de Ghazaouet
Plus vers le nord, la côte. Ghazaouet, petite ville côtière, ville de vestiges et de calme. Elle pourrait bien inspirer poètes et chansonniers avec “les deux frères”, ces deux majestueux blocs qui accueillent les bateaux à l'entrée du port, ses forts en ruine, ses chalutiers, ses marins pêcheurs et ses restaurants au parfum de poisson frit et grillé. La nuit venue, le voile sombre que perturbe le vrombissement des moteurs de chalutiers, une autre vie, aventureuse, commence.
Epargnée jusque-là, Ghazaouet fait partie désormais des villes partance de l'aventure harraga. Tôt le matin de dimanche, les gardes-côtes ont intercepté 14 harragas sur une embarcation en haute mer. Les 14 intrépides suicidaires avaient embarqué sur un Zodiac de 5 mètres propulsé par un moteur de 40 CV. Ils ont pris une avance au large. Mais l'aventure s'arrête à 2h du matin lorsqu'ils sont interceptés par les gardes-côtes en patrouille. Le phénomène est plutôt rare en allant vers l'ouest, Marsa Ben M'hidi, limitrophe du Maroc. Les candidats à l'immigration clandestine préfèrent les plages d'AIn Témouchent qui offrent l'avantage de la courte distance vers les côtes espagnoles. Les services de sécurité, gardes-côtes et brigade maritime de la gendarmerie ont renforcé leur présence et la surveillance de la zone. La plupart des 14 harragas sont issus de Chlef et Relizane.
D. B.


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