1905 : la belle époque, qui sans le savoir, prépare le cataclysme de la Grande Guerre et ses millions de morts... En 1905, il est une princesse de conte de fées. Elle n'en porte pas le titre, mais elle est si riche qu'elle en a le pouvoir. De plus, elle est née en 1864 et, à quarante et un ans, elle n'est plus de la première fraîcheur. Mais quelle importance ? Elle est richissime et très jolie femme. En outre, elle est mariée à un homme, lui aussi richissime, et qui est fou de son épouse. Il est vrai qu'il est fort laid, et encore tout étonné d'avoir pu épouser une telle créature de rêve. Elle, c'est Béatrice Rothschild, et son époux, c'est Maurice Ephrussi, dit «Frousse», considérablement plus âgé qu'elle. Il est hongrois. Depuis l'âge de vingt ans, Béatrice possède une couronne de cheveux immaculés, qui ajoute à son air d'ange intemporel. Lui, a une passion pour toutes les choses de l'art. Béatrice est capricieuse et autoritaire, il est toujours d'accord. Ils possèdent une immense fortune : elle peut puiser sans compter dans sa dot personnelle et dans celle de son «Frousse» pour s'offrir tout ce qui lui fait envie en matière d'art et de confort. Nous sommes donc en 1905, et Béatrice vient passer l'hiver sur la Côte d'Azur. Pour elle, pas d'autre lieu de séjour possible que Monte-Carlo, où se presse toute la noblesse internationale : anglaise, russe, allemande, sans compter celle des pays d'Europe centrale, les Orientaux de tout poil et même des Américains du Nord comme du Sud. A l'occasion d'une promenade, Béatrice découvre, ravie, la presqu'île alors presque inhabitée de Saint Jean-Cap-Ferrat. Un seul voisin d'importance, immensément riche lui aussi : le roi Léopold II de Belgique. Le Congo est sa propriété personnelle. Béatrice monte sur la colline boisée de pins et découvre un des plus beaux panoramas du monde ; pourtant le cap est surnommé le «cap de mauvaise langue», car il est difficile à doubler en bateau. Aussitôt, sa décision est prise : «Il faut que je m'installe ici !» Autant dire que la chose est faite. Rien ne peut résister à Béatrice et à ses fonds inépuisables. Le premier pas de son projet est d'acheter sept hectares d'un seul tenant. Rien de bien attirant, au premier abord. Ce ne sont que pins et rochers brûlés par le soleil. Pas de source, et du vent plus qu'il n'est souhaitable. Pourquoi Béatrice, qui possède déjà deux hôtels particuliers à Monte-Carlo, éprouve-t-elle le besoin de faire construire une résidence supplémentaire ? Pour y placer tous les souvenirs qu'elle a rapportés de ses voyages dans le monde et pour abriter ses collections. Quand on parle de «souvenirs», il ne s'agit pas de boîtes précieuses, ni d'éventails merveilleux... Enfin, pas uniquement. Les souvenirs de Béatrice sont souvent des colonnes, des morceaux entiers d'architecture, des puits en pierre sculptée, des meubles superbes. Tout cela provient de différents achats, au hasard de ses coups de foudre, en Italie, en Espagne au Maroc et en Orient. (à suivre...)