On la surnommait « la sultane ». Et pour beaucoup, elle était la « Lady Di » du Pakistan, voire de tout le monde musulman. Elle avait été d'ailleurs proche, dit-on, de l'ancienne reine des tabloïds anglais dont la défunte Benazir Bhutto, elle-même, a fait quelques unes, de même que celles d'autres magazines people. Sauf que le people, les paillettes, Benazir — prénom qui signifie « l'Unique » en ourdou —, n'étaient pas vraiment sa tasse de thé, et l'on aurait bien tort de la réduire à une cliente médiatique pour papier glacé. C'est peu dire qu'elle était une femme de caractère, elle qui écrivait dans une tribune parue dans Le Figaro du 24 octobre dernier : « Je n'ai pas vécu jusqu'à mon âge pour me laisser intimider par des kamikazes. » C'était quelques jours après le double attentat qui avait ciblé le convoi qui fêtait son retour au pays après huit ans d'exil. Décidément, son histoire se confond avec l'histoire tumultueuse de tout un pays, et l'épisode tragique de Rawalpindi résonne comme le dénouement fatal d'une saga familiale toute shakespearienne. Il faut dire que Benazir a eu une enfance de petite princesse. Issue d'une famille de la haute bourgeoisie pakistanaise, de confession chiite, Benazir Bhutto est née le 21 juin 1953. Sa jeunesse, elle la passe dans les plus prestigieuses universités internationales. Harvard d'abord, d'où elle sort avec un diplôme de politique comparée, avant de s'inscrire à Oxford, en Angleterre, pour un diplôme en philosophie, droit international et diplomatie. De retour au bercail en 1977, son père, le Premier ministre Zulfikar Ali Bhutto, est renversé par le général Zia Ul Haq, avant d'être pendu deux ans plus tard. C'est la fin du conte de fées. Benazir découvre brutalement le chaos pakistanais. Très vite, ce drame va la projeter dans l'arène. C'est ainsi qu'après moult péripéties où elle subit avec sa famille embastillement et résidence surveillée, elle prend en main le parti laissé par son père : le Parti du peuple pakistanais (PPP). Ses frères Shahnawaz et Murtaza connaîtront tour à tour un destin terrible avant leur grande sœur. Le premier sera retrouvé mort dans un appartement à Cannes. On avait avancé alors la thèse de l'empoisonnement. Quant au second, son nom sera à jamais associé à une organisation secrète du nom de « Al Zulfikar » comme son père, classée dangereuse par les services secrets pakistanais. Pour échapper aux tenailles du régime de fer du général Zia Ul Haq, Benazir Bhutto s'exile à Londres au début des années 1980. A peine rentrée, elle échappe à un premier attentat en janvier 1987. Peu après, et comme pour narguer son sort, Benazir se marie avec un richissime homme d'affaires pakistanais, Asif Ali Zardari, dont elle aura trois enfants. C'est le printemps dans la vie de la « princesse ». Zia meurt dans un « accident » d'avion en 1988 et le PPP remporte les législatives de novembre. La saga continue. C'est ainsi que Benazir Bhutto devient, à la faveur de ces élections, et à seulement 35 ans, la première femme Premier ministre du monde musulman. A ce titre, elle vient en visite officielle à Alger en 1990. Mais l'éclaircie ne dure pas éternellement. En août 1990, la dame au foulard immaculé est destituée pour « corruption » et « détournement de fonds publics ». Benazir Bhutto s'érige en opposante attitrée au Premier ministre et éternel rival Nawaz Sharif. En octobre 1993, nouvelle victoire aux législatives pour le PPP. Benazir Bhutto est de nouveau « Prime minister ». Son frère Murtaza devait se présenter à ces élections contre le PPP, aggravant la discorde dans la famille. Mais il est arrêté par la police le jour de son retour au Pakistan, après 16 ans d'exil. Accusé de terrorisme au nom de l'organisation Al Zulfikar, il est abattu à Karachi le 24 septembre 1996. Dans la foulée, le deuxième gouvernement Bhutto est démis une nouvelle fois pour « corruption et abus de pouvoir ». Asif Zardari est arrêté. Il sera emprisonné huit ans durant, de 1996 à 2004. Il est soupçonné de pots-de-vin et blanchiment d'argent avec la complicité de sa flamboyante épouse. Le couple écope d'une condamnation. Cette affaire aurait vraisemblablement poussé une nouvelle fois Benazir Bhutto à l'exil. Elle se réfugie d'abord à Londres avant de s'établir à Dubaï où son mari est installé encore. Le 18 octobre 2007, et à la faveur d'une amnistie prononcée par le président Musharaf, Benazir Bhutto revient au Pakistan avec la ferme intention de rafler les suffrages aux législatives qui étaient prévues le 8 janvier prochain. Le jour même de son come-back, elle échappe à un double attentat contre son convoi qui fait 139 morts. Durant ces deux mois qui ont marqué son retour au pays, la fougueuse icone n'a eu de cesse d'accabler ses ennemis intimes : le président Musharaf et les extrémistes d'Al Qaïda à qui elle assène dans cette même tribune aux airs de testament politique parue dans Le Figaro : « On peut détourner des avions, mais personne ne détournera le message de l'Islam. »