Abus Gifles, coups de poing, coups de pied? c?est le lot des femmes battues par leur conjoint ou leur frère. Beaucoup se résignent à leur sort. Cette soumission était autrefois acceptée comme une tradition séculaire, où la femme, gardienne de l?unité de la famille, devait subir toutes les injustices sans se plaindre. Comme l?illustre l?adage : «Kêna sabret, darha aamret» (une bru qui patiente voit sa maison prospérer). La soumission est dictée aujourd?hui par une absence quasi totale de protection de la femme face à un mari ou à un frère violents, la loi ne prévoyant aucune disposition dans ce cas de figure. Forts de cette impunité, les agresseurs persistent dans la violence, s?arrogeant le droit d?humilier et de battre des êtres physiquement plus faibles, persuadés d?agir pour la bonne «moralité» de la famille. Tout est prétexte à coups : un mot maladroit, un repas préparé en retard, une sortie sans permission, une attitude de révolte? L?atmosphère familiale est encore plus insoutenable et dangereuse lorsque le conjoint s?adonne à la boisson ou à la drogue. Deux ou trois fois par semaine, parfois plus, les services d?urgence des hôpitaux accueillent des femmes victimes de ces violences, souvent occasionnées par leur partenaire. «Ces femmes battues, déclare un médecin, ne se résignent à se faire soigner à l?hôpital que lorsque leur état est sérieux et qu?elles risquent de garder des séquelles. En général, elles présentent des contusions au niveau de la tête, du visage ou des bras. Dans les cas extrêmes, ce sont des côtes brisées ou des lésions abdominales qui peuvent entraîner la mort.» Ne se faisant guère d?illusions sur l?issue de leur démarche, presque toutes ces femmes refusent de porter plainte, pour plusieurs raisons. Par crainte de représailles, d?abord. «S?il est convoqué au commissariat, il me tuera», cette phrase est dans la bouche de toutes les femmes battues qui ajoutent : «Comment continuer à vivre sous le même toit après cela ?» ou bien : «Ils ne lui feront rien et il deviendra encore plus violent.» Ensuite, pour les mères de famille, notamment la certitude que déposer plainte équivaudrait à une demande de divorce : «Abandonner ma maison et mes enfants ? Et pour aller où ?» Souvent, les femmes célibataires victimes d?un frère violent essayent de s?en sortir en fuguant ou en s?engageant, parfois tête la première, dans un mariage hasardeux. La précarité matérielle est aussi une des raisons de soumission des femmes battues. Les femmes au foyer qui subissent des violences sont beaucoup plus nombreuses que les femmes actives, «car un homme respecte plus une femme qui rapporte une paie à la maison !» Les victimes ne se font aucune illusion de ce côté-là.Chaffia, 43 ans, épouse d?un pompier, révèle : «Il me bat devant mes enfants et une fois il m?a cassé le bras. Il se défoule sur moi, car je n?ai personne pour prendre ma défense dans ma famille et que je ne travaille pas.» Widad, une célibataire de 33 ans, sans emploi, orpheline, vit avec son frère de dix ans son cadet, un drogué qui la bat presque tous les jours, déclare : «Un jour, il m?a tellement frappée que les voisins, attirés par mes cris, ont défoncé la porte et m?ont arrachée à ses coups. Je crois que j?ai échappé à la mort, ce jour-là. Pourtant, il n?a aucune raison de se comporter de la sorte avec moi.» Sur plainte de Widad, la police est intervenue, menaçant son frère de prison en cas de récidive. Sans résultat. Widad, qui a fait deux tentatives de suicide, se cache aujourd?hui chez une vieille amie de sa mère, n?osant mettre le nez dehors. La vieille Ouenassa, 73 ans, a été frappée par son fils à coups de poing en plein visage, après une altercation avec sa bru. Profondément choquée, elle a déposé plainte et là, il n?échappera à la prison pour coups et blessures sur ascendant ? un cas spécifique prévu par la loi ? que grâce au pardon que lui accorde Ouenassa en pleine audience. «Pour l?élever et l?éduquer après la mort de son père, j?ai passé des années à faire des ménages», se souvient-elle en pleurant.